La conférence de presse tenue par Marine Le Pen le 14 avril dernier a pu apparaître comme un exercice pleinement réussi de la part d’une personnalité qui n’a aucune expérience en la matière. Souriante, calme, ne se distanciant pas d’un texte de style très diplomatique, elle s’est attachée à placer sa future politique étrangère dans le cadre de celle menée depuis le début de la Ve République, faisant référence à quelques grands principes auxquels on ne peut qu’adhérer : indépendance, défense de l’intérêt national, équidistance. Citant à plusieurs reprises le général de Gaulle, faisant une allusion aimable à Dominique de Villepin et à son discours du 14 février 2003, se référant aux propos de plusieurs ambassadeurs respectés, ce discours a pu donner l’impression que sa politique étrangère s’attacherait à maintenir selon une grande tradition le rayonnement de la France, soucieuse de ses responsabilités de grande puissance et de ses engagements internationaux.
Il n’en est rien. D’un examen attentif de la conférence comme aux réponses faites aux questions posées, il apparaît clairement qu’il s’agit d’un exercice de manipulation de l’opinion, tant par ses silences que par la portée véritable de ses propos. En fait, il s’agit d’une véritable rupture de la politique étrangère qui a permis à la France de maintenir son rang et d’affirmer son rayonnement international.
Tout d’abord Marine Le Pen se garde d’évoquer naturellement les mesures de politique intérieure qu’elle envisage de prendre en matière de statut des étrangers comme de la politique d’immigration. La priorité en matière d’emploi et de prestations sociales aux seuls nationaux et, à l’inverse, l’expulsion des logements sociaux des étrangers, travailleurs ou étudiants, même en situation régulière, sont totalement contraires à nos engagements internationaux, notamment européens. Il en est de même de l’interdiction du voile et de signes religieux dans l’espace public. Dirigée à l’évidence contre des Français ou des étrangers en grande partie de confession musulmane, une telle politique ne peut apparaître que comme hostile à l’islam et dégrader nos relations et notre image, d’abord avec le Maghreb et avec l’ensemble des pays musulmans d’Afrique et d’Asie.
Un « Frexit » déguisé
De façon étonnante, Marine Le Pen proclame son attachement à l’Europe. Certes Marine Le Pen a renoncé à son projet initial de sortir brutalement de l’Union européenne et de revenir au franc. En voulant passer de l’Europe des 27 à une « Alliance européenne des nations », elle propose en fait un « Frexit » déguisé. Le rétablissement des contrôles aux frontières pour lutter contre les fraudes, le refus de l’accès des ressortissants européens aux prestations sociales ou la priorité nationale à l’emploi, la réduction de 5 milliards d’euros de la contribution française, sa remise en cause de la stratégie énergétique européenne, supposent une profonde modification des textes européens, y compris des accords fondamentaux, inacceptables pour la majorité de nos partenaires. La seule solution serait alors le retrait pur et simple de la France, État fondateur, avec le chaos que ceci impliquerait pour l’Europe comme pour notre pays. Le procès en divergence d’intérêt avec l’Allemagne et « l’arrêt de l’ensemble des coopérations avec Berlin » vont dans la même direction et annihileraient la politique menée avec constance et efficacité depuis près de soixante ans de réconciliation avec notre voisin.
Assez paradoxalement les relations avec les États-Unis et le Russie ne sont évoquées qu’à travers le prisme de l’OTAN. Avec les premiers, la candidate prône le retrait de son commandement militaire. On appréciera le sens l’opportunité à un moment où l’agression russe contre l’Ukraine est un défi majeur pour la sécurité des pays européens. En revanche, elle reste muette sur ce que pourrait être une réforme nécessaire de l’OTAN. Quant à la Russie, par-delà sa discrétion sur ses complaisances passées à son égard, elle se contente de dire que son objectif est identique à celui du président Macron : « arrimer la Russie à l’Europe » et renouer le dialogue après la fin de la guerre qu’elle a engagée. C’est un peu court pour une agression qui doit conduire l’Europe et donc la France à définir les conditions dans laquelle elle doit établir des relations de sécurité vis à vis d’un voisin qui a repris un comportement de type soviétique.
Un souverainisme agressif
Enfin, on ne peut qu’être d’accord avec la nécessité de densifier les relations bilatérales avec de nombreux pays, y compris européens. Mais ceci ne doit pas être fait au détriment d‘une gouvernance mondiale et d’un multilatéralisme onusien ou informel, comme les G 7 ou G 20, où nous disposons d’une réelle capacité d’influence. L’ONU comme ces réunions à haut niveau restent des instances indispensables alors que les menaces contre la paix sont plus présentes que jamais et que les grands enjeux globaux sont le défi majeur de notre temps avec la préservation de l’environnement, l’action contre le changement climatique, le développement et la lutte contre la pauvreté. La France a joué dans ces domaines un rôle pilote. Son effacement serait perçu comme un renoncement à jouer le rôle actif qu’est traditionnellement le sien.
En fait, le projet de politique étrangère esquissé par Marine Le Pen est celui du repli sur soi, d’un souverainisme agressif vis à vis de ses voisins européens, d’une destruction de l’Union européenne, d’un renoncement au rayonnement de la France. Le contraire d’une diplomatie ouverte et de puissance respectée qui a été celle que les diplomates ont servi depuis l’origine de la Vème République. Une telle politique est d’autant plus inquiétante que le monde, devenu plus dangereux, doit faire face à des défis majeurs et à de nouvelles menaces aussi bien en Europe qu’en Asie.