Barack Obama vénère bien sûr le président qui, en 1865, abolissant l’esclavage, a signé le 13è amendement. Mais cette référence n’est pas sans ambigüité car Abraham Lincoln n’avait pas toujours été anti-escalvagiste. Sans doute a-t-il adhéré au Parti républicain, qui avait été créé en 1844, avec pour seul point de son programme un arrêt de l’extension de l’esclavage aux nouveaux Etats fondés dans le centre et dans l’ouest des Etats-Unis, au fur et à mesure que les pionniers avançaient. Il n’était pas a priori en faveur de l’abolition de l’esclavage dans les Etats du sud.
C’est d’ailleurs un autre paradoxe que le « modèle » de Barack Obama soit un président républicain. Mais ce paradoxe s’explique par les chassés-croisés entre les deux grands partis, qui se sont appelés tour à tour démocrate et républicain et qui se sont emparés du programme de l’autre. Au XIXè siècle, les Démocrates étaient le parti du sud, favorable, contre le gouvernement central, aux pouvoirs des Etats fédérés qui devaient avoir le droit de maintenir l’esclavage des Noirs. En revanche, jusqu’à l’industrialisation du tournant du XXè siècle, le Parti républicain était progressiste, favorable au renforcement du pouvoir central, pour la Fédération contre la Confédération, contre les prérogatives des Etats qui permettaient à certains de ces derniers de bafouer les valeurs fondamentales à la base de la République américaine.
Mais Abraham Lincoln n’était pas partisan de l’égalité des races. Son objectif principal en tant que président était de maintenir l’unité de l’Union, menacée par les Etats esclavagistes du sud. « Si je pouvais sauver l’Union sans libérer un seul esclave, je le ferais », avait-il déclaré.
Mais en même temps, il s’attaquait au sénateur Douglas, un rival pour la présidence, qui mettait le libre arbitre des Etats et des citoyens au-dessus des valeurs morales des pères fondateurs. Par hostilité aux Etats du sud qui allaitent faire sécession et par nécessité politique, Lincoln a évolué. Il est passé dans les années 1850 d’une position hostile à l’expansion de l’esclavage aux nouveaux Etats à une opposition à l’esclavage en général.
Une autre caractéristique rapproche Barack Obama d’Abraham Lincoln, qui était un président « moderne » avant l’heure : Lincoln fut « l’auteur de sa légende et le plus grand des dramaturges de sa propre vie », a écrit Richard Hofstadter, biographe de plusieurs présidents. Barack Obama n’est-il pas aussi le meilleur metteur en scène de sa propre épopée ?