Le président américain a convoqué plusieurs réunions de ses conseillers et des principaux dirigeants du Congrès avant de prendre une décision. Le point de vue de la hiérarchie militaire est clair : il faut augmenter le contingent américain - les alliés n’étant pas disposés à faire un effort supplémentaire – pour le porter à 90 000 hommes (contre 68 000 actuellement) – afin de protéger la population afghane, venir à bout des talibans et assurer la relève par les forces locales.
John McCain, le rival malheureux de Barack Obama lors de l’élection présidentielle de 2008, a reproché au président de prendre son temps. Mais Barack Obama a en tête les leçons du Vietnam. « Je connais mon histoire », a-t-il dit aux historiens conviés récemment à la Maison blanche qui lui rappelaient le précédent Lyndon Johnson. Le président démocrate qui a succédé à John Kennedy en 1963 avait, sous la pression de ses généraux, lancé l"’américanisation de la guerre" au Vietnam avec les suites catastrophiques que l’on sait. La tragédie vietnamienne avait tellement dominé sa présidence que son ambitieux programme de réformes intérieures, « la Grande société », en a été oublié voire saboté. Comment ne pas penser à Obama et sa grande réforme du système de santé américain, qui se heurte à l’opposition des Républicains et aux arrière-pensées de certains Démocrates ?
Les livres traitant de la guerre au Vietnam occupent des bibliothèques entières. Mais l’ouvrage de chevet de Barack Obama est, dit-on à Washington, Lessons in Disaster, un livre écrit par un élève de McGeorge Bundy, à partir notamment des notes de ce dernier. McGeorge Bundy était le conseiller pour les affaires de sécurité de John Kennedy et de Lyndon Johnson. Partisan de l’engagement américain au Vietnam dans les années 1960, il réfléchissait, trente ans plus tard, sur les erreurs commises alors. Il est mort en 1996 sans pouvoir achever son livre mais Gordan Goldstein a repris le travail.
Engrenage
L’intérêt de ces Leçons d’un désastre ne s’arrête pas au livre lui-même. Tout aussi significatif est sans doute la critique que Richard Holbrooke en a faite dans le New York Times, en novembre 2008. Ancien ambassadeur à l’Onu du temps de Bill Clinton, Richard Holbrooke est aujourd’hui le représentant spécial de Barack Obama pour "l’Afpak" (l’Afghanistan et le Pakistan).
Que dit Holbrooke dans cet article ? Il se demande comment « un homme à l’intelligence et à la réputation incontestées – McGeorge Bundy – pouvait avoir aussi mal conseillé deux présidents ». Trente ans plus tard, Bundy reconnaissait avoir commis « des erreurs de perception, de recommandation et d’exécution ». Et il en tirait quelques principes soulignés par Holbrooke : « Ne jamais faire confiance à la bureaucratie pour faire les choses correctement », « Ne jamais utiliser des moyens militaires à des fins indéterminées » « L’intervention (militaire) est un choix du président, nullement quelque chose d’inévitable ».
Barack Obama a qualifié, comme son prédécesseur George W. Bush, l’engagement en Afghanistan de « guerre de nécessité », comme jadis John Kennedy avait fait du Vietnam « la pierre angulaire du monde libre en Asie du Sud-Est ». Mais JFK a résisté, en 1961, à la demande des militaires d’envoyer des forces de combat au Vietnam, se contentant d’y expédier quelques « conseillers », même si cela revenait à mettre un doigt dans l’engrenage qui devait conduire quelques années plus tard à la présence de 500 000 soldats américains au Sud-Vietnam, dont des appelés, et au bombardement du Nord-Vietnam.
Trois scénarios
Barack Obama est soumis à la même pression, notamment du général Stanley McChrystal, qu’il a lui-même nommé à la tête des forces américaines en Afghanistan. Pour appuyer leurs demandes, les militaires ont fait fuiter dans la presse le rapport remis par le général au président, en août dernier. Bob Woodward, le journaliste vedette du Washington Post qui révéla le scandale du Watergate, a eu accès à ce texte dans lequel le général McChrystal réclame une augmentation du contingent américain sous peine de voir la guerre se terminer par un échec. Commentaire du Washington Post : ne pas accepter les recommandations du commandant en chef « à la fois déshonorerait et mettrait en danger » les Etats-Unis.
C’est le rôle des militaires de dire au président comment la guerre peut être gagnée ; c’est le rôle du président de décider si, dans le contexte des priorités de politique intérieure et étrangère des Etats-Unis, le jeu en vaut la chandelle. Barack Obama a le choix entre deux solutions extrêmes, étant entendu qu’il a exclu un désengagement général : le renforcement des troupes pour sécuriser le pays contre les talibans en attendant que les forces afghanes puissent prendre le relais ou concentrer les efforts sur la chasse à Al Qaida, en Afghanistan même mais surtout au Pakistan où les derniers éléments de l’organisation semblent avoir trouvé refuge, en utilisant des moyens essentiellement aériens, comme le suggère le vice-président Joe Biden. Il peut aussi choisir une voie moyenne entre ces deux options, qui risque de cumuler les inconvénients : ne pas permettre une victoire sur les talibans tout en mettant en danger la vie de soldats américains de plus en plus nombreux.