Barack Obama prépare le terrain pour John Kerry

A la veille de la tournée de Barak Obama au Moyen-Orient, deux think tanks de Washington ont fait le point sur les enjeux de cette visite. Obama to the Middle East : Expectations and Implications, Washington Institute for Near East Policy, 18 mars. U.S. Policy in the Middle East on the Eve of President Obama’s Trip, Center for American Progress, 19 mars . Rémy de Gournava a participle à ces deux débats.

 

Retour à la case départ. C’est le constat sur lequel s’accordent les experts du panel – chercheurs et praticiens, démocrates ou républicains, pro-israéliens ou non – à la veille de la visite d’Etat du président Obama en Israël, en Cisjordanie et en Jordanie. Cette tournée au Moyen-Orient a en effet un parfum de premier mandat : après une campagne électorale avare en détails, la politique de la Maison-Blanche à l’égard du processus de paix israélo-palestinien, et plus largement envers un monde arabe en transition, reste à définir. Mais Barack Obama est bien décidé à avoir un impact dans la région. Selon Dennis Ross, ancien diplomate et envoyé spécial pour le Moyen-Orient sous la présidence de William Clinton, puis conseiller d’Hillary Clinton au Département d’Etat, les Etats-Unis sont au « premier chapitre de cette transformation – avec sûrement dix-neuf chapitres de plus à écrire. » 

L’environnement géopolitique de la région ne ressemble en effet en rien à celui qui avait accueilli le discours du Caire, en 2009. Le Moyen-Orient s’enfonce dans l’instabilité. Les « Printemps arabes » peinent à se conclure en Egypte, et surtout en Syrie, où la guerre civile aurait fait jusqu’à 70 000 victimes et risque de déstabiliser la Jordanie et le Liban voisins. Malgré les sanctions internationales, l’Iran ne semble pas moins déterminé à se doter de l’arme nucléaire. Deux ans après l’annonce d’un « pivot » stratégique vers l’Asie, l’administration Obama est contrainte au retour dans la région. Dennis Ross ironise ainsi : « lorsque vous ne faites pas assez attention au Moyen-Orient, le Moyen-Orient a ses manières de se rappeler à vous. » 

Au cœur de ce croissant de crises se trouve Benjamin Netanyahou, à la tête d’une coalition de partis qui ne sont pas plus disposés à retourner à la table des négociations que le gouvernement précédent. Tous deux fraichement réélus, et animés par une antipathie réciproque qu’ils ne dissimulent qu’à peine, Benjamin Netanyahou et Barak Obama vont devoir s’entendre pour mettre derrière eux les mésententes du premier mandat et protéger leurs intérêts communs. Nous ne sommes pas loin du « reset » (remise à zéro) proposé par Barack Obama au président russe Vladimir Poutine en 2009.  

De l’aveu des participants aux conférences organisées par le Washington Institute et le Center for American Progress, il n’y a rien, en substance, à attendre de ce voyage au Moyen-Orient. L’administration Obama a en effet pris bien soin d’annoncer que le président viendrait les mains vides, dans le seul but d’« écouter » ses interlocuteurs.

Quel est donc l’objectif du premier voyage à l’étranger de ce second mandat pour la Maison-Blanche ?

Selon les experts du panel, cette tournée va recouvrir deux dimensions interdépendantes. D’une part, la dimension publique vise à rapprocher Barak Obama de l’opinion publique israélienne dont seulement 10%, selon le Financial Times citant un sondage du journal Maariv, serait favorable au président des Etats-Unis. D’autre part, la dimension privée ambitionne de réconcilier les différents objectifs tactiques des Etats-Unis et d’Israël (et dans une moindre mesure, de la Jordanie et de l’Autorité palestinienne) afin d’atteindre des objectifs stratégiques communs : la paix, la stabilité, et la sécurité.

La campagne de séduction auprès du public israélien sera probablement l’aspect le plus commenté de cette visite. L’ultimatum (sans suite) pour le gel de la colonisation lancé par Barack Obama à Benjamin Netanyahou lors de son premier mandat a considérablement dégradé l’image du président des Etats-Unis. Pourtant, alors même que l’opinion publique israélienne doute du soutien des Etats-Unis, « la coopération militaire et sécuritaire entre les deux pays atteint des niveaux sans précédents », comme le rappelle Sandy Berger, qui fut conseiller pour la sécurité nationale auprès de William Clinton. Cette campagne de relation publique vise ainsi à réconcilier perception et réalité de l’alliance entre les deux nations. Plus encore, elle a pour but de créer un « rapport émotionnel » (emotional connection), une « confiance » nécessaire au renforcement de la popularité de Barack Obama à la fois en Israël et dans la communauté pro-israélienne aux Etats-Unis. Ce sursaut d’opinion favorable devrait lui permettre de continuer à peser dans son rapport de force avec le premier ministre israélien.

A l’inverse, peu d’éléments concrets devraient filtrer des conversations privées que le président des Etats-Unis aura avec le premier ministre israélien d’abord, puis avec Mahmoud Abbas et Salam Fayyad – respectivement président et premier ministre de l’Autorité palestinienne – et enfin Abdallah II de Jordanie. Au menu de ces discussions : les conséquences des « Printemps arabes », l’Iran et le processus de paix israélo-palestinien. Comme le résume David Makovsky, chercheur et commentateur spécialiste de la région, ces sommets seront « dégrisants » (sobering) : ils permettront de distinguer « ce qui est faisable de ce qui ne l’est pas. » 

Barak Obama abordera la question de la guerre civile en Syrie avec tous ses interlocuteurs. Israël craint un effet de contagion au Liban qui, s’il devait déclencher des conflits armés entre communautés, pourrait menacer sa frontière nord. Israël commence désormais à envisager des opérations militaires ciblées contre les forces de Bachar el-Assad. La Jordanie souffre pour sa part d’un afflux massif de réfugiés qui pourrait déstabiliser le royaume hachémite. La situation sécuritaire en Egypte devrait également être évoquée. 

L’Iran demeure également en tête d’agenda. Barak Obama et Benjamin Netanyahou devraient discuter du seuil de déclenchement des opérations militaires contre les installations nucléaires iraniennes. Le président des Etats-Unis a martelé son engagement en faveur d’une solution négociée, tout en gardant l’option militaire sur la table. Il devra s’entendre avec Benjamin Netanyahu pour fixer une « ligne rouge » : à quel moment l’échec des négociations devra-t-il être constaté ?

Enfin, le processus de paix israélo-palestinien sera au cœur des discussions. Barak Obama devrait réaffirmer son soutien à une solution à deux Etats, tout en demandant à son homologue palestinien de ne pas engager de démarche contre les intérêts israéliens auprès des Nations Unies et de la Cour pénale internationale. Réciproquement, il devrait enjoindre Benjamin Netanyahou à limiter (à défaut de « geler ») l’implantation de colonies en Cisjordanie. Aucun accord n’est cependant prévu lors de cette visite, qui devrait seulement préparer le terrain de futures négociations.

Les experts du Washington Institute et du Center for American Progress ne se font pas d’illusions sur d’éventuelles avancées. Mais pour Denis Ross, l’essentiel n’est pas là. Cette tournée vise à « faire souffler le vent dans le dos du [nouveau] Secrétaire d’Etat. » Le gros du travail sera en effet laissé à John Kerry, qui a précédé Barak Obama en Israël et devrait s’entretenir avec Benjamin Netanyahou après son départ. Comme le reconnaît Martin Indyk, vice-président de la Brookings Institution et ancien ambassadeur en Israël, « le processus de paix ne sera pas la priorité du président [Obama] pour son second mandat ; par contre, ce sera celle de John Kerry. » C’est peut-être tout l’intérêt du « pivot » vers l’Asie : si échec au Moyen-Orient il y a, Barak Obama ne saura en être directement responsable.

 

Le Washington Institute for Near East Policy est un centre de recherche bipartisan qui vise à identifier et promouvoir les intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient. Il fut créé en 1985, au début du second mandat de Ronald Reagan, alors que ce dernier peinait à relancer le processus de paix entre Israël et la Palestine. A travers ses contacts et ses publications, le Washington Institute exerce une influence reconnue sur la Présidence et le Département d’Etat, mais aussi dans les médias. Il est réputé pro-israélien.

 

Le Center for American Progress est un centre de recherche qui publie des analyses sur la politique intérieure et les affaires étrangères. Ancré à gauche, il fut créé en 2003 pour faire contrepoids aux puissants think tanks conservateurs tels que l’Heritage Foundation et l’American Enterprise Institute. Par sa proximité avec l’administration Obama, le Center for American Progress exerce aujourd’hui une influence importante sur la politique intérieure des Etats-Unis. Il a récemment été critiqué pour avoir dénoncé la politique d’Israël et le poids des lobbys pro-israélien.