Barack Obama vu de Paris : un ’’copain’’ préoccupant

Du candidat démocrate à la Maison Blanche, Nicolas Sarkozy confiait en juillet dernier, après l’avoir reçu quelques instants à l’Elysée lors d’un passage éclair à Paris, qu’il était son « copain ». A l’endroit du nouveau président des Etats-Unis, qui prend officiellement ses fonctions ce mardi, le chef de l’Etat français paraît se montrer plus circonspect. Vu de l’Elysée, en effet, Barak Obama, est aujourd’hui un motif d’inquiétude, un facteur d’incertitude et un sujet d’agacement.   

Une fenêtre diplomatique s’est refermée pour Nicolas Sarkozy avec la fin de la présidence française du Conseil européen au 31 décembre dernier et avec l’intronisation du nouveau président des Etats-Unis ce 20 janvier. Les projecteurs vont désormais se tourner vers le successeur de George W. Bush. Si l’hyper puissance américaine est affaiblie par la crise et par le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Est, les Etats-Unis n’en conservent pas moins encore le premier rôle sur la scène internationale. Le monde n’est pas encore « post américain » selon l’expression de l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine ! Après l’ère Bush, l’avènement de Barak Obama suscite beaucoup d’espoirs et d’attentes. Le président français a parfaitement conscience de cet état de fait. Et il en conçoit un certain agacement tant l’idée de se faire ainsi voler la vedette lui est désagréable.

La vacance de fait de la présidence américaine durant les six derniers mois et la fonction de président du Conseil européen avaient permis à Nicolas Sarkozy de jouer avec un certain succès les médiateurs entre la Géorgie et la Russie dans l’affaire de l’Ossétie du Sud, de conclure de manière relativement satisfaisante un accord sur l’environnement entre les 27 pays membres de l’Union européenne et d’exister sur le terrain proche-oriental, fut-ce sans résultat concluant. Or, c’est du côté de la Maison-Blanche qu’est désormais espérée sinon attendue une action au Proche-Orient. C’est entre la Russie et les Etats-Unis que devraient maintenant s’ouvrir des pourparlers sur la réduction des armes nucléaires, thème cher à Barak Obama. Et ce sont, bien entendu aussi, les mesures économiques décidées par Washington pour pallier les effets de la crise qui vont polariser l’attention des capitales occidentales. Ajoutons au passage que la présidence tchèque du Conseil européen, bien que considérée avec quelque condescendance par Paris, n’est pas étrangère à l’accord sur le gaz conclu entre Moscou et Tbilissi.

Nicolas Sarkozy se trouve donc aujourd’hui réduit à n’être plus que le président d’un pays dont le nom n’est même pas mentionné dans le chapitre que Barak Obama consacre à la politique étrangère dans son ouvrage « The Audacity of Hope : Thoughts on reclaiming the American Dream » non plus que dans le livre programme qu’il conçut pour sa campagne « Change we can believe in : Barack Obama’s Plan to renew America’s Promise ». Et cela ne plaît guère au président français qui, fort lucide, confiait déjà à son entourage, avant l’élection de Barak Obama, qu’une victoire de Mc Cain lui permettrait de continuer à exister sur la scène internationale alors qu’un succès du candidat démocrate rendrait la chose plus difficile !

Par delà cette question d’ego, l’arrivée de Barak Obama aux affaires provoque une certaine perplexité à l’Elysée. L’incertitude demeure grande en effet sur le degré de proximité et de compréhension que la nouvelle Administration américaine aura avec la France et avec l’Europe. A priori, les relations avec Paris et Bruxelles devraient logiquement être facilitées par la présence au sein de l’équipe de Barak Obama et dans son gouvernement de personnalités connaissant bien l’Europe : James Steinberg, l’adjoint de la nouvelle secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, milite en faveur d’un rôle accru de l’Union européenne ; le Conseiller pour la sécurité du président, le général James Jones, ancien commandant en chef de l’Otan, connaît bien l’Europe et parle couramment le français. Philip Gordon, responsable du secteur Europe au sein du Département d’Etat, nourrit un a priori favorable au président français. Traducteur en anglais du dernier ouvrage du chef de l’Etat « Témoignage », il considère que « Nicolas Sarkozy a fait le pari que le sentiment anti américain français n’est pas aussi profond ou aussi étendu qu’on peut le dire » et « qu’un nouveau chapitre des relations franco-américaines est à écrire ». 

En dépit de ces indices plutôt rassurants, l’Elysée n’en demeure pas moins fort perplexe faute de véritable échange avec Barak Obama depuis l’élection de ce dernier le 4 novembre. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy cherche vainement à joindre au téléphone l’heureux élu. Celui-ci ne le rappellera brièvement que quarante-huit heures plus tard. Le président français espère alors rencontrer le nouveau président des Etats-Unis lors de la réunion du G 20, le 15 novembre à Washington. Or, Barak Obama non seulement n’a pas souhaité prendre part à ce sommet, mais il n’a pas non plus accepté la rencontre informelle que lui proposait le chef d’Etat français en marge du G20. Dans l’entourage du successeur de George W. Bush on a peu apprécié d’ailleurs la manière dont le président français avait utilisé l’entre-deux présidentiel américain pour jouer, lors du G20, les donneurs de leçons et se poser en régulateur du capitalisme mondial et américain !

Sauf changement de programme, Nicolas Sarkozy devra donc attendre le 2 avril prochain pour rencontrer à Londres son homologue américain à l’occasion d’un nouveau G20. En attendant, l’Elysée dresse l’inventaire des dossiers préoccupants sur lesquels il ne sera peut-être pas plus aisé de s’entendre avec Barak Obama qu’hier avec George W. Bush, à commencer par celui de la régulation financière. La belle unanimité de façade du G20 de Washington en novembre dernier risque de voler en éclat à Londres dans trois mois et nul ne sait ce que sont sur ce dossier les intentions de la nouvelle Administration américaine. Bien plus, en matière économique, Paris et les capitales européennes ont quelque raison de redouter que le nouveau président américain, de manière tout à fait pragmatique, décrète non pas un protectionisme global mais des mesures de protection susceptibles d’aider les industries américaines. L’Elysée n’a pas oublié que le sénateur Obama a soutenu il y a quelques mois la décision de la justice américaine annulant la commande du Pentagone à Airbus d’avions ravitailleurs pour redonner sa chance à Boeing !

Nicolas Sarkozy s’est beaucoup investi ces dernières semaines sur le sujet brûlant du Proche-Orient. Sans grand succès il est vrai. Or, le nouveau président américain est resté fort discret sur le sujet et Hillary Clinton, répondant aux questions de la Commission des Affaires étrangères du Sénat en vue de sa confirmation comme secrétaire d’Etat, s’est contentée de dire au sujet du conflit israélo-palestinien qu’il ne fallait pas « abandonner » le processus de paix et de rappeler le droit d’Israël à se défendre et le refus de toute négociation avec le Hamas tant que celui-ci ne reconnaîtra pas l’Etat hébreu. Or, seuls les Etats-Unis seraient aujourd’hui en mesure d’imposer à Israël une solution pacifique au conflit qui les oppose aux Palestiniens. Il faut en effet rappeler que l’assistance militaire américaine à l’Etat hébreu est de quelque 2,7 milliards de dollars annuels. Si les Etats-Unis ne prennent pas le relais des efforts diplomatiques français et européens au Proche-Orient, ces derniers ont toute chance d’être vains.

Il y a de fortes chances, en revanche, qu’au prochain sommet de l’OTAN le nouveau président américain demande à ses alliés occidentaux et notamment à la France de renforcer leur présence militaire en Afghanistan. C’est une demande que l’Elysée aura autant de mal à refuser qu’à accepter. Y demeurer sourd serait contraire aux engagements déjà pris par Nicolas Sarkozy. Y répondre favorablement sans redéfinition du sens de l’intervention en Afghanistan sera sujet à large contestation en France.

Enfin, on sait que le nouvel hôte de la Maison Blanche a fait du désarmement nucléaire l’une des priorités de son mandat. L’Elysée peut craindre à bon droit que des négociations entre Moscou et Washington se déroulent par-dessus la tête de la France qui continue de considérer la dissuasion nucléaire comme l’arme par excellence de son indépendance.

Agacement, incertitude, inquiétude, l’Elysée paraît donc tout autant préoccupé de la rupture que pourra incarner Barak Obama et qui lui vaudra de capter les feux de la rampe sur la scène mondiale que de la continuité d’un président américain très logiquement attaché à défendre les intérêts des Etats-Unis, fût-ce parfois au détriment des Européens.