Bataille rhétorique entre Pékin et Tokyo

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale

Rien ne va plus entre la Chine et le Japon. Alors que deux nouvelles équipes dirigeantes se mettent en place dans les deux pays, la tension monte autour de quelques îlots inhabités de la mer de Chine orientale, les Senkaku en japonais, les Diaoyu en chinois. Ce n’est pas la première fois. Ces îlots sont revendiqués par la Chine et le Japon depuis des siècles. Mais une sorte de modus vindendi avait permis de mettre la querelle en sourdine malgré quelques accrochages sans conséquences.

Pourquoi le conflit se réveille-t-il aujourd’hui ? Il y a d’abord une conjoncture malheureusement favorable. A Pékin comme à Tokyo, les dirigeants qui arrivent au pouvoir ont besoin d’assoir leur légitimité. Les élections parlementaires du dimanche 16 décembre ont donné une écrasante majorité au Parti libéral démocrate et à son chef, Shinzo Abe. Il doit en partie son succès à la rhétorique nationaliste qui a dominé sa campagne. M. Abe n’est pas un nouveau venu sur la scène politique japonaise. Il a déjà dirigé le gouvernement en 2006 pour une année. Il en avait alors profité pour améliorer les relations avec Pékin, qui s’étaient détériorées sous le règne de son prédécesseur, Junichiro Kuizomi. Celui-ci était un visiteur régulier du temple Yazukuni qui honore les officiers japonais de la guerre contre la Chine, considérés comme des criminels de guerre par les Chinois. Pendant sa campagne M. Abe a regretté de ne pas avoir fait le pèlerinage. Et il s’est surtout engagé à ne jamais céder la souveraineté japonaise sur les Senkaku.

Du côté chinois, le ton n’est pas non plus à l’apaisement. Le nouveau secrétaire général du Parti communiste qui deviendra président de la Chine en mars prochain, Xi Jinping, a rendu visite aux garnisons de la région de Guanzhou , la province méridionale qui fait face aux îles Diaoyu. Il avait pour l’occasion revêtu sa tunique de chef de la Commission militaire centrale, position qu’il cumule avec ses fonctions dans le Parti. Xi Jinping a placé son pouvoir sous le signe du « rêve » chinois, celui « d’une grande nation » qui rêve justement de réunifier tous ses territoires, ceux lui appartenant et ceux qu’elle revendique.

C’est pourquoi les tensions sino-japonaises dépassent une querelle sur des petits îlots. Elles reflètent l’émergence d’un nouveau rapport des forces en Asie. Deuxième puissance économique du monde, la Chine cherche sa place face aux puissances établies, comme le Japon dont l’économie marque le pas, et comme les Etats-Unis, qui ont annoncé un « basculement » de leur stratégie en direction du Pacifique. Mais aussi face à des pays plus petits, comme le Vietnam ou les Philippines, qui comptent sur les Américains pour les protéger de la menace chinoise.

La montée de la Chine ne peut-elle se faire qu’aux dépens des autres pays de la région ? Beaucoup des voisins de la Chine le craignent et le dirigeants chinois ne font rien pour dissiper ces craintes, y compris pour des raisons de politique intérieure. Toutefois beaucoup d’experts chinois des relations internationales sont plus prudents. Tout en critiquant le renforcement de la présence militaire américaine dans le Pacifique, ils souhaitent que Washington apporte une contribution à la stabilité régionale. Ils préfèrent que les Etats-Unis apparaissent comme les protecteurs des pays de la région plutôt que de voir ces pays accroitre leur arsenal militaire, voire se doter de l’arme nucléaire, comme les Japonais pourraient être tentés de le faire en l’absence de garantie de sécurité américaine.

Ce jeu complexe laisse à penser que la recherche d’un règlement pacifique des conflits, appuyée sur l’interdépendance économique et commerciale grandissante en Asie, l’emportera sur les discours belliqueux. A condition que les dirigeants de tous bords soient suffisamment habiles pour ne pas laisser dégénérer des incidents mineurs.