Berlin : 100 jours de tensions au sein du gouvernement

Les tensions s’accumulent entre Angela Merkel et son ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier libéral, Guido Westerwelle, qui compare l’État providence allemand à la Rome de la « décadence » et réclame une réforme en profondeur de l’Etat-providence. 

Guido Westerwelle a un problème. Depuis le jour de son triomphe électoral, il doit se battre contre l’hypothèse d’une prochaine défaite. Tout résultat en dessous des 14,6% que son parti, le parti libéral (FDP) a obtenu le 27 septembre 2009 (le meilleur score de son histoire) sera un échec. Et les derniers sondages le voient déjà, à peine 100 jours après la formation du nouveau gouvernement, en chute libre – à un niveau entre 8 et 10%. Et c’est pourquoi Angela Merkel, la Chancelière, elle aussi a un problème. Le Vice Chancelier cherche à se démarquer de la Chancelière pour faire remonter ses scores. Mais pour elle, c’est l’ironie qui peut s’avérer être une plus grande menace que les attaques politiques : désormais, on parle d’“Organisation Non-Gouvernementale (ONG) d’Angela Merkel“ quand on veut critiquer la coalition à Berlin. Que s’est-il passé ?

Pour expliquer l’état des choses, 3 arguments s’imposent.

Le FDP, après 11 ans dans l’opposition, avait fait campagne contre le gouvernement en place, Merkel/Steinmeier. Il a promis le changement. Surtout, il a promis une réforme fiscale profonde, avec une baisse d’impôts importante. Et il veut tenir parole. Il se voit mandaté par un résultat jamais obtenu dans son histoire. Son chef, le vice-chancelier Guido Westerwelle, s’est présenté comme l’homme fort du nouveau gouvernement ; comme celui qui va faire avancer les choses, dont les mots comptent. La CDU, elle, 4 ans après son retour à la chancellerie, avait fait campagne pour continuer une politique réussie d’Angela Merkel. Frank Steinmeier du SPD, avec qui elle avait bien travaillé, serait remplacé simplement par Guido Westerwelle du FDP, l’autre parti du „camp bourgeois“, qui est le partenaire de choix de la démocratie chrétienne. Et tout irait encore mieux.

Continuité (Merkel) et changement (Westerwelle) seraient compatibles, puisqu’on est du même camp politique. C’est ici la première raison des frictions au sein de la nouvelle coaition. Après la crise financière et économique de 2008/09, qui a été gérée tant bien que mal par la Grande Coalition en engageant d’énormes sommes de fonds publics, Mme Merkel n’avait aucune raison et aucune possibilité de changer fondamentalement sa politique de prudence, alors que M. Westerwelle insiste sur une baisse d’impôts importante sur base d’un discours politique qu’il mène depuis 10 ans. A côté de plusieurs dirigeants de la CDU, dont le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, c’est même une majorité d’Allemands qui considèrent qu’une telle baisse d’impôts, dans les circonstances actuelles, ne serait pas sérieuse. Il y a donc impasse politique, incompatibilité entre les positions. Celle-ci est complétée par d’autres divergences en politique de santé (réforme du système de financement des services de santé) ou de travail (réorientation du système d’allocations de chômage). En résultat, il n’y a ni continuité, ni changement.

Le chef du FDP, M. Westerwelle, a pris volontiers les fonctions de ministre des affaires étrangères, comme l’avaient fait ses prédécesseurs, Klaus Kinkel, Hans-Dietrich Genscher et Walter Scheel. En fait, toute la direction du FDP a pris des fonctions gouvernementales, ce qui a laissé un certain vide aux instances dirigeantes du parti. Les nouveaux ministres et secrétaires d’Etat du FDP avaient à prendre en main leurs ministères, voyager beaucoup pour se présenter à leurs partenaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ainsi, pendant les premières semaines de la nouvelle législature, le FDP a été pratiquement absent du débat politique. Les libéraux se sont félicités d’avoir réussi leur négociation du contrat de coalition, mais ils se sont peu soucié des clauses de sauvegarde, surtout financières, que le parti de la chancelière a réussi à placer. 

C’est alors que le FDP a commencé sa descente dans les sondages. Et M. Westerwelle est le premier ministre des affaires étrangères qui n’a pas augmenté son score de popularité après avoir pris ses fonctions, mais qui, au contraire, a baissé. C’est ici la deuxième source de frictions. Pour faire remonter ses scores, M. Westerwelle a repris avec verve les commandes du débat de politique intérieure de son parti. Il a ainsi aggravé les divergences entre les partenaires de la coalition. Pour l’instant, il semble avoir stoppé la tendance vers le bas des sondages, mais il reste bien en dessous des 14,6% du jour de l’élection.

En même temps, la démocratie chrétienne ne va pas beaucoup mieux. La CSU bavaroise, au plus bas de ses résultats depuis 2008, reste où elle est – dans l’enfer d’une coalition en Bavière qu’elle était obligée de former avec le FDP, mal aimé, malgré les propos officiels. La CDU de la Chancelière se retrouve légèrement seulement au dessus de ses résultat du 27 septembre. Cela ne suffira pas pour l’avenir. Avec le seul FDP, elle n’obtiendrait plus la majorité. Elle cherche, donc, d’autres possibilités – et approche discrètement les Verts.

Ceci devient d’autant plus inquiétant pour le FDP, et donc pour la coalition, que les élections régionales du 9 mai en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé de l’Allemagne (un tiers à peu près de l’électorat allemand), présentent un danger réel pour le FDP qui s’y retrouve avec un score de seulement 6% dans les sondages. Une coalition de la CDU du Land avec les Verts, au lieu de l’actuelle coalition CDU/FDP à Düsseldorf, n’est pas du tout exclue. Et c’est ici la troisième raison qui explique les frictions à Berlin. Le FDP essaie, à la fois, de se démarquer de son partenaire de coalition et de se présenter, en vue du 9 mai, comme étant irremplacable pour lui.

Si l’on ajoute à cela les tempéraments très différents de la Chancelière et de son vice-chancelier, Mme „Still“ (tranquille) et M. „Schrill“ (agité), comme dit „Der Spiegel“, on peut conclure que la coalition doit vite changer de méthode, et ne pas attendre le 9 mai, si elle veut éviter des dégâts politiques sérieux.