Bilan de la diplomatie Chirac

A la suite d’un colloque du CERI sur la politique extérieure de Jacques Chirac, les éditions Riveneuve ont publié un recueil de contributions, sous la direction de Christian Lequesne, directeur du CERI et Maurice Vaïsse, professeur émérite à Sciences-Po et spécialiste des relations internationales. Cet article a été publié dans Le Monde, daté dimanche 3 et lundi 4 février 2013.

Hubert Védrine a forgé l’expression « compromis gaullo-mitterrando-chiraquien » pour marquer la continuité de la politique extérieure française à laquelle il a lui-même contribué à l’Elysée auprès de François Mitterrand puis comme ministre des affaires étrangères de la cohabitation (1997-2002). La formule est pertinente pour les grandes tendances – relations ambivalentes avec les Etats-Unis, pragmatisme européen, « politique arabe », « Françafrique »… Mais elle fait l’impasse sur le contexte absolument nouveau dans lequel s’est mue la diplomatie chiraquienne. Premier président de la Vème République de l’après-guerre froide, Jacques Chirac a dû ajuster la vulgate gaulliste à une situation internationale où les atouts du gaullisme ont perdu leur efficacité. La fin de l’antagonisme Est-Ouest a réduit la marge de manœuvre de la France et la réunification allemande lui a couté sa place privilégiée en Europe, remarquent Christian Lequesne et Maurice Vaïsse, dans leur introduction à « La politique étrangère de Jacques Chirac ». Le livre, produit d’un colloque organisé en décembre 2011 par le CERI (Centre d’études et de relations internationales), rassemble des contributions écrites par des spécialistes de chaque domaine.

Jacques Chirac a affronté cette nouvelle réalité au cours de trois périodes distinctes : les deux premières années de son septennat puis cinq ans de cohabitation avec le gouvernement socialiste de Lionel Jospin et enfin un quinquennat. Il l’a fait sans doctrine diplomatique préétablie mais avec un fort pragmatisme guidé par quelques principes. Le premier, donner « une voix à la France » ; le deuxième, promouvoir le multilatéralisme, à la fois comme objectif et comme instrument. La résistance à l’unilatéralisme américain atteint son apogée en février 2003 quand la France, avec l’Allemagne et la Russie, s’opposent à la guerre de George Bush en Irak. « J’ai un principe simple en politique étrangère, explique le président français au Premier ministre britannique Tony Blair et au chancelier allemand Gerhard Schröder, je regarde ce que font les Américains et je fais le contraire. Alors je suis sûr d’avoir raison. » Le phrase est plaisante mais elle est fausse. Avec les Etats-Unis, Jacques Chirac n’est pas animé par un anti-américanisme systématique. Il continue de jouer du mélange d’amitié et d’hostilité, caractéristique de l’attitude française traditionnelle. Tantôt il les presse d’agir, comme en Bosnie où il ne tolère pas que des soldats français soient pris en otages, tantôt il les contrarie comme en Irak ou fait cause commune avec eux comme au Liban à propos duquel il se brouille avec le clan Assad à la suite de l’assassinat de son ami Rafik Hariri. Il ira même jusqu’à envisager un retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN que le général De Gaulle avait quittées en 1966. La tentative échoue à cause du refus de Bill Clinton d’accorder à un militaire européen le commandement Sud de l’Alliance atlantique mais elle témoigne de la volonté du « néogaulliste » d’écarter un obstacle vers des progrès de la politique européenne de défense grâce à une entente avec la Grande-Bretagne.

Sur l’Europe, le président Chirac n’est plus en effet le contempteur du « parti de l’étranger » de 1978. Le pragmatisme l’emporte là aussi, notamment dans ses relations avec l’Allemagne. Après le fiasco du sommet de Nice en 2000 où Paris et Berlin sont au bord de la rupture, il comprend que le statut des deux pays et le poids de l’Europe dans un monde multipolaire dépendent de leur coopération. C’est une des leçons du « chiraquisme ».

 

La politique étrangère de Jacques Chirac, sous la direction de Christian Lequesne et Maurice Vaïsse, Riveneuve, 248 p., 20 €.