Bloc contre bloc

Les Européens attendaient de Joe Biden qu’il réaffirme la force du « lien transatlantique » qui unit traditionnellement l’Europe et les Etats-Unis, un lien que Donald Trump avait beaucoup affaibli pendant les quatre années de son mandat par ses déclarations souvent provocatrices. Le président américain ne les a pas déçus. Quelques semaines après son entrée en fonction, il a choisi d’exprimer spectaculairement sa confiance envers ses alliés du Vieux Continent, rompant avec le langage agressif de son prédécesseur et se disant prêt à établir avec l’Europe la « nouvelle relation » souhaitée par celle-ci.

Il a d’abord confié à son ministre des affaires étrangères, Antony Blinken, le soin de souligner l’attachement des Etats-Unis à l’OTAN, à l’occasion d’une réunion de l’organisation à Bruxelles, le 23 mars. Il a ensuite pris lui-même la parole, par visioconférence, comme « invité exceptionnel » du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement européens, le 25 mars, pour appeler à une étroite coopération entre les Etats-Unis et l’Union européenne face aux défis communs – de la pandémie au réchauffement climatique en passant par les relations avec la Chine comme avec la Russie – et pour mettre en exergue les valeurs démocratiques communes aux deux rives de l’Atlantique.

Ses interlocuteurs ont accueilli avec reconnaissance le changement de ton de l’administration américaine. « L’Amérique est de retour, et nous sommes heureux de vous retrouver », a déclaré le président du Conseil européen, l’ancien premier ministre belge Charles Michel, en saluant « une occasion historique de redynamiser notre coopération et de resserrer les liens anciens qui nous unissent ». Moins lyrique, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui s’était réjouie quelques jours auparavant que l’Europe ait « un ami » à la Maison-Blanche, s’est contentée de dire que « les États-Unis représentent pour l’Union européenne un partenaire important et apprécié » et que celle-ci veut « établir un nouveau programme transatlantique pour relever les défis mais aussi saisir les occasions de notre temps ».

Revitaliser la relation transatlantique

Voilà donc reconstitué, si l’on en croit les uns et les autres, le bloc occidental, dont la cohésion avait été quelque peu ébranlée au cours des années sous l’effet de la vaste réorganisation du monde provoquée, à la fin du XXème siècle, par l’effondrement du communisme et l’évolution des rapports de force. Certes l’unité retrouvée du partenariat euro-atlantique n’empêche pas le maintien de divergences sur de nombreux dossiers, à commencer par celui de la défense, où la vision géopolitique de Washington n’est sans doute pas tout à fait compatible avec la recherche d’une « autonomie stratégique » européenne. Mais l’essentiel est que les deux partenaires s’engagent à « revitaliser » leur relation, selon la formule de l’administration américaine, et cherchent à s’entendre plus qu’à s’opposer. Les actes devront confirmer les discours mais on sait que les discours, en diplomatie, ne sont pas sans importance.

La réaffirmation de la solidarité transatlantique, dans un monde déstabilisé par la volonté d’hégémonie de la Chine et par le retour de la Russie post-communiste dans le concert des puissances, redonne vie, en réponse aux menaces venues de l’Est, à la notion d’Occident, qu’on croyait disparue depuis la fin de la guerre froide. L’Ouest tente, comme autrefois, de s’unir pour faire face aux défis nouveaux qui pèsent sur son avenir. Mais le bloc occidental en cours de formation voit surgir devant lui un autre bloc, celui que lui opposent la Chine et la Russie, alliées pour contrer « l’impérialisme » des démocraties de l’Ouest. Celles-ci ont effet durci le ton à l’égard de Pékin et de Moscou. Elles dénoncent sans ménagement les violations des droits de l’homme dans les deux pays. Mises au ban des accusées, la Chine et la Russie font désormais front commun.

Les deux capitales sont entrées dans une phase de répression particulièrement intense à l’égard de leurs opposants. Le traitement infligé par Moscou à l’activiste Alexeï Navalny et par Pékin aux Ouïgours du Xingjiang ou aux démocrates de Hongkong témoigne éloquemment de la dérive autoritariste des deux régimes. Les Etats-Unis depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche et l’Union européenne condamnent fermement ces atteintes à l’Etat de droit. Ces condamnations n’ont pas seulement uni les Américains et les Européens, elles ont aussi rapproché la Chine et la Russie, qui refusent d’être jugées selon les critères occidentaux et qui affichent leur bonne entente dans les enceintes internationales. Leurs ministres des affaires étrangères se sont rencontrés le 22 mars à Guilin, en Chine méridionale. Ils ont pris soin d’afficher leur communauté de vues vis-à-vis de l’Occident.

Une nouvelle guerre froide naît sous nos yeux. Elle oppose le camp des démocraties à celui des dictatures. Elle prend la forme d’une vaste bataille économique, technologique, idéologique, parfois militaire (comme en Ukraine ou en mer de Chine). Elle donne lieu à des manœuvres d’intimidation et à des échanges de sanctions. Une gigantesque lutte d’influence est engagée entre les grandes puissances du globe, qui défendent des visions du monde différentes et des conceptions politiques antagonistes. L’Occident a raison de tenir bon face aux autocraties conquérantes. Il lui appartient de protéger à la fois ses valeurs et ses intérêts, tout en refusant une escalade qui serait dangereuse pour l’ensemble de la planète.