Blocage franco-russe

François Hollande a fait connaissance avec Vladimir Poutine lors d’une brève visite à Paris, vendredi 1er juin, du président russe en provenance de Berlin. Une prise de contact qui a tourné autour de la crise en Syrie où la France et la Russie défendent des positions différentes.

François Hollande avait eu son baptême du feu diplomatique lors de la réunion du G8 à Camp David et du sommet de l’OTAN qui a suivi à Chicago. Mais même s’il n’était pas entièrement d’accord avec ses interlocuteurs, il était au milieu de partenaires et le terrain avait été déminé sur le sujet le plus controversé : le retrait anticipé des forces combattantes françaises d’Afghanistan.
La rencontre avec Vladimir Poutine était une tout autre épreuve. Les amabilités sur la coopération bilatérale franco-russe n’ont pu masquer les profondes divergences entre deux « nouveaux » présidents. Le Français est un novice tandis que le Russe fait figure de cheval de retour après avoir passé déjà huit ans à la tête de la Russie avant une parenthèse de quatre années. Pourtant François Hollande s’est bien tiré de l’exercice, en maintenant les formes sans masquer les désaccords de fond.
Ceux-ci étaient patents à propos de la Syrie. La France et la Russie sont restées sur leurs positions. De ce point de vue la rencontre de Paris est un échec. Poutine a répété ses arguments traditionnels : il ne soutient aucune partie en Syrie mais veut éviter tout ce qui pourrait conduire à une guerre civile. Les deux côtés portent une responsabilité dans les morts civils. Les sanctions ne sont pas toujours efficaces et les changements de régime ne conduisent pas nécessairement au « bonheur total ». Petite perfidie supplémentaire : Bachar el-Assad a visité Paris plus souvent que Moscou, ce qui a amené François Hollande a prendre une nouvelle fois ses distances avec son prédécesseur : il n’est pas responsable de ces visites à Paris du dictateur syrien qui avait été l’hôte d’honneur du 14 juillet en 2008.

Le plan Annan en échec

Les perspectives d’une solution aux affrontements entre le régime alaouite et l’opposition qui durent maintenant depuis quinze mois et ont fait plus d’une dizaine de milliers de victimes sont très faibles. Le plan Annan, du nom de l’ancien secrétaire général de l’ONU, qui devait organiser une transition politique, est dans une impasse. C’est un « échec », a même dit Alain Juppé, l’ancien ministre français des affaires étrangères.
François Hollande n’est pas allé jusque là. Quand la France et la Russie parlent de solution politique c’est encore au plan Annan qu’elles font référence. Mais elles ne posent pas les mêmes conditions. Le président de la République a affirmé qu’il ne pouvait y avoir de sortie de crise « seulement avec le départ de Bachar el-Assad » du pouvoir et a qualifié « d’inacceptable » la conduite de son régime. Il a plaidé pour un renforcement des sanctions qui font partie « de la pression nécessaire et indispensable ». Il n’a pas mentionné publiquement la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Bachar et de ses proches, comme l’avait fait son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius dans un entretien au Monde. Il est vrai que cette démarche est à double tranchant. Si l’on veut pousser Assad à quitter volontairement le pouvoir en l’exfiltrant vers la Russie, un mandat de la CPI pourrait être contreproductif. Barack Obama pense, dit-on, à une solution qui passerait par l’exil du clan Assad à Moscou, mais Poutine ne semble pas prêt à œuvrer dans ce sens.
Le verrou russe n’a pas sauté, ni à l’occasion de la rencontre Hollande-Poutine, ni quelques heures auparavant lors de la visite du président russe auprès d’Angela Merkel. A Berlin, le ton officiel apparaissait plus consensuel, les deux parties rappelant leur engagement pour une solution politique, sous-entendu contre une solution militaire que n’avait pas exclue François Hollande, trois jours avant, à la télévision française.
Le président russe campe sur ses positions. Le massacre de Houla ne l’a pas fait changer d’avis. Pour assouplir son attitude, il attend des garanties et des compensations. Les premières concernent la base navale russe de Tartous, en Syrie, et la nature du régime qui succéderait au clan Assad. Plus généralement, Poutine voudrait un engagement des Occidentaux à ne plus soutenir des soulèvements populaires comme les printemps arabes dans lesquels il voit un danger au moins pour les républiques périphériques de l’ancienne Union soviétique, sinon pour son propre pouvoir.
Les compensations pourraient concerner le projet de défense antimissiles de l’OTAN que le président russe a de nouveau critiqué pendant la conférence de presse avec François Hollande. Il ne veut pas se contenter des déclarations selon lesquelles ce projet n’est pas dirigé contre l’armement nucléaire de la Russie. Il veut des engagements formels, voire un contrôle sur la mise en œuvre de ce programme.
Il aura l’occasion d’en parler bientôt aux Etats-Unis avec Barack Obama qu’il a snobé lors du sommet du G8 en se faisant représenter par son féal Dmitri Medvedev. Les Syriens seront-ils sauvés par un grand marchandage ?