Bouclier antimissiles : l’approche habile d’Obama

En abandonnant le bouclier antimissiles prévu par l’administration Bush en Pologne et en République tchèque, Barack Obama n’est pas dans une logique d’apaisement vis-à-vis de Moscou, mais bien plutôt dans une approche pragmatique qui devrait lui permettre d’aborder en force les échéances à venir du débat nucléaire international. Lire également de Bruno Tertrais : Le Marché noir de la Bombe. Enquête sur la prolifération nucléaire, Paris, Buchet-Chastel, septembre 2009.

Le dossier de la défense antimissile faisait partie, pour Barack Obama, des champs de mines politiques hérités de l’administration Bush. Car si l’idée d’installer un tel dispositif en Europe pour protéger les Etats-Unis et l’Europe des missiles balistiques iraniens remonte à l’administration Clinton, ce n’est qu’en 2007 que le projet de déploiement d’intercepteurs en Pologne et d’un radar en République tchèque avait été finalisé.

Barack Obama devait confirmer la disponibilité américaine à défendre ses alliés, éviter d’apparaître comme une « colombe » auprès d’un Congrès dont il a besoin en dépit de la majorité dont il dispose, et rassurer les nouveaux membres de l’OTAN sur l’engagement militaire des Etats-Unis face à une Russie revanchiste. Dans le même temps, il lui fallait tenir compte de l’état des finances américaines, et donner à Moscou – qui prétend, dans un mélange de procès d’intention et de mauvaise foi, que le bouclier américain est en fait destiné à neutraliser la dissuasion russe – des témoignages concrets de sa volonté de « remettre les compteurs à zéro ».

Obama s’en sort bien, et même très bien. En abandonnant les sites polonais et tchèque, il témoigne de sa volonté de faire table rase du passé. En réajustant le bouclier américain de la défense depuis les missiles à longue portée vers les missiles à courte et moyenne portée – qui sont la vraie priorité, car l’Iran ne disposera pas d’un missile intercontinental avant longtemps – il fait montre de pragmatisme.

En choisissant les nouveaux systèmes antimissiles SM3 mobiles et plus souples d’emploi, pouvant être déployés sur terre et sur mer – au détriment des gros intercepteurs GBI essentiellement conçus pour les missiles à très longue portée – il laisse ouvertes toutes les options pour l’avenir, y compris en termes de pays de déploiement. Et en précisant que le dispositif serait inscrit dans le cadre de l’OTAN, il réaffirme son tropisme atlantiste. A cet égard, la référence, dans son discours du 17 septembre, à l’article 5 du traité de Washington ne doit rien au hasard : il s’agissait de confirmer à Varsovie que l’Amérique était toujours à ses côtés.

Certains ont parlé de « marchandage » avec Moscou. C’est bien mal connaître le mode de pensée des élites actuellement au pouvoir aujourd’hui de l’autre côté de l’Atlantique – le langage de l’influent vice-président Joseph Biden sur la Russie suffit à dédouaner la nouvelle administration de toute tentation « munichoise », n’en déplaise à une partie de la droite conservatrice qui n’hésite pas à lui faire aujourd’hui le procès de « l’apaisement ».

En revanche, il y a tout lieu de croire que le timing de cette annonce n’est pas sans lien avec l’approche d’une phase cruciale du débat nucléaire international. Le 24 septembre se tiendra un sommet du Conseil de sécurité consacré à la non-prolifération et au désarmement, qui sera présidé par Barack Obama lui-même. Une semaine plus tard (1er octobre), les « Cinq plus Un » tenteront de persuader l’Iran de reprendre les négociations nucléaires, très probablement sans succès. C’est alors que les Etats-Unis proposeront à leurs partenaires l’adoption de sanctions beaucoup plus dures contre Téhéran. Il est probable que la Russie n’y consentira pas. Mais au moins l’administration Obama pourra alors se targuer d’avoir entendu les préoccupations russes.

Enfin, en toile de fond se poursuivent les négociations bilatérales sur la réduction des armements nucléaires stratégiques. Or si la Russie est davantage demandeuse d’un nouvel accord que ne l’est Washington, Barack Obama voudrait qu’un tel accord puisse être signé et même peut-être ratifié à temps pour l’ouverture de la grande conférence quinquennale d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire, qui se tiendra à New-York en mai 2010. Bien joué.