Bachar el-Assad doit se plier au droit international, démanteler son arsenal chimique et permettre aux inspecteurs de l’ONU de poursuivre leur enquête et aux spécialistes de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) de se rendre très vite sur le terrain pour intervenir et achever leur travail à la mi-2014. Le chapitre VII des Nations Unies, qui autorise le recours à la force, ne sera utilisé qu’en cas de non-respect de ces exigences dont la Russie veut se porter garante. Une nouvelle résolution sera nécessaire pour l’invoquer, donnant à Moscou la possibilité d’utiliser son droit de veto.
Des navires militaires américains, français et russes sont toujours au large de la Syrie depuis la fin d’août. Ce bras de fer succède à l’attaque chimique du 21 août sur la plaine de la Ghouta, donnant accès à l’entrée sud de Damas, qui a fait près de 1 500 morts parmi la population civile.
Bachar el-Assad a cédé. Les inspecteurs de l’ONU ont pu enquêter sur place et produire un rapport accablant qui pointe du doigt – sans la nommer – la responsabilité du régime au pouvoir à Damas.
Pour autant, la menace militaire qui a fait plier Assad et son parrain russe ne s’est pas traduite par des frappes qui auraient pu ébranler le pouvoir syrien.
Les opposants armés, présents aux portes de Damas et contrôlant près de 60% du territoire, ont dû ravaler amèrement leur ambition de porter la dernière estocade au régime. La réunion entre les chefs de la diplomatie américaine et russe John Kerry et Sergueï Lavrov, le 13 septembre à Genève, a eu pour effet d’apaiser les tensions. Mais les positions n’ont pas varié sur le fond. La mise au point du mécanisme qui a abouti à la résolution du 27 septembre est le fruit d’un compromis.
Derrière la Syrie, l’Iran
Dans ce jeu de dupes, c’est François Hollande, en pointe dans la dénonciation du crime d’Etat, qu’on a voulu écarter ; alors que les diplomates français avaient eu le mérite de vouloir fixer un cadre juridique rigoureux et contraignant à la résolution onusienne. On préfère rester entre "Grands" comme au temps de la Guerre froide. Car ce n’est pas la "petite" Syrie qui intéresse vraiment les "Grands" de ce monde. C’est plutôt sur l’Iran et son éventuelle arme nucléaire qu’Israël, principal allié des Etats-Unis dans la région, tire constamment la sonnette d’alarme.
A cet égard, l’Assemblée générale annuelle de l’ONU a été l’occasion de porter le conflit sur le terrain de la diplomatie. Le président iranien récemment élu, Hassan Rohani, a affirmé l’intention de son pays d’ouvrir le canal des négociations dans le but d’éviter la confrontation militaire, d’alléger les sanctions économiques occidentales qui pénalisent durement l’économie iranienne et de se poser comme une puissance régionale incontournable.
Américains et Européens sont d’accord pour ne pas couper le fil du dialogue. Mais ils exigent la transparence et l’accès total aux installations nucléaires iraniennes pour les inspecteurs de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).
Sur le terrain syrien en tout cas, l’allié baassiste du régime des Mollahs continue son matraquage implacable avec l’assistance précieuse des unités d’élite des Pasdarans iraniens et du Hezbollah libanais.
En Méditerranée orientale, les navires militaires américains, français et russes sont toujours sur place tenant Bachar al Assad pour comptable de sa bonne coopération avec l’ONU et l’OIAC sur son arsenal chimique.
Voilà où nous en sommes après ces folles journées où l’on semblait aller en guerre sans le vouloir – les opinions publiques, comme les états-majors, étant majoritairement réticents à se battre pour la Syrie.
Car ce pays est menacé de décomposition. Les groupuscules islamistes armés se battent chacun pour contrôler son fief au mépris des idéaux de liberté et de démocratie qui avaient lancé cette épopée révolutionnaire syrienne en mars 2011. La répression féroce qui s’en est suivie a laminé un pays à l’histoire cinq fois millénaire et causé près de 150 000 morts et 6 millions de déplacés dont une moitié ont traversé les frontières, menaçant la stabilité d’une région particulièrement fragile.
Un nouveau rapport de forces
Si on ne peut prévoir l’issue du conflit, on peut déjà en établir le rapport de forces.
Avec le dossier syrien et iranien, Vladimir Poutine a réussi à réaliser son ambition d’être le véritable interlocuteur de la seule grande puissance qu’il reconnaisse vraiment face à la "Grande Russie", à savoir les Etats-Unis.
Barack Obama, soucieux d’éviter une nouvelle pantalonnade similaire à celle vécue par son prédécesseur George W. Bush en Afghanistan et en Irak, a préféré temporiser et s’arc-bouter au seul dossier qui compte pour les Etats-Unis au Moyen-Orient : le nucléaire iranien.
Faire consensus sur ce qui divise la communauté internationale depuis plus d’une décennie, telle est la stratégie de l’administration américaine pour tester Téhéran et se mesurer à Moscou dans un dossier où ce que Vladimir Poutine peut offrir est bien faible eu égard aux enjeux. Bloquer la situation jusqu’à l’usure de l’adversaire, c’est la tactique soviétique reprise par le maître du Kremlin. Il n’est d’ailleurs pas certain que Téhéran le suive sur ce terrain miné.
Dans cet ordre d’idées, l’affaire syrienne peut faire aussi consensus, encore que d’une autre manière. Car personne – Occidentaux, Russes ou Iraniens – ne veut en effet voir remplacer une dictature galonnée par une dictature salafiste.
Trouvera-t-on alors le moyen d’assurer une transition en douceur du régime au pouvoir à Damas et faciliter un accord avec Téhéran sur le nucléaire ?
Israël, qui s’est montré particulièrement discret durant cette crise, acceptera-t-il le jeu de la négociation avec Téhéran en contrepartie d’une mise au pas en douceur du Hezbollah qui domine l’échiquier libanais ?
La deuxième conférence de Genève sur laquelle travaillent laborieusement les diplomates pourrait, si elle a lieu, être l’indicateur d’une issue possible à la crise syrienne. Ban Ki-moon souhaite l’organiser en novembre. L’opposition syrienne a exprimé son accord pour y participer « à condition que le but de Genève soit clair. Il doit s’agir d’une transition vers la démocratie, et pas d’un dialogue sans fin avec le régime ».
Le mandat du président syrien s’achève au mois de mars 2014. C’est une échéance, un peu courte, mais possible pour une sortie de la crise.
Un risque et une opportunité
Le temps presse. Les pressions militaires ont fait plier Damas. Moscou et Téhéran ont ouvert la voie à un grand marchandage qui pourrait réintégrer l’Iran dans le concert des nations et lui donner un rôle pivot dans l’apaisement des conflits de Syrie, d’Irak, du Liban, de Palestine et d’Afghanistan.
C’est, en tout cas, l’ambition des Mollahs au pouvoir à Téhéran. A condition évidemment que le régime iranien se conforme à ses engagements concernant son activité nucléaire strictement civile. Il réclame d’ailleurs qu’Israël s’y conforme aussi, ce qui est loin d’être acquis. Hassan Rohani s’est engagé à présenter un calendrier lors d’une réunion qui pourrait se tenir en octobre à Genève.
Dans cette partie de bras de fer, où chaque dossier s’imbrique, les enjeux et les intérêts contradictoires s’enchevêtrent, les menaces de désintégration de la région sont bien réelles. Elles rappellent que les guerres balkaniques et la chute de l’Empire ottoman, il y a tout juste un siècle, demeurent, aujourd’hui encore, l’horizon menaçant d’un Proche-Orient au bord de la rupture.
Il y a là un risque, mais aussi une opportunité. Saura-t-on la saisir ?