Le « front démocratique » auquel appelaient, entre les deux tours du scrutin présidentiel, les adversaires de Jair Bolsonaro n’a pas été assez puissant pour empêcher l’élection du candidat d’extrême-droite, qui l’a emporté nettement, dimanche 28 octobre, avec plus de 55% des voix (55,13%). Son rival du second tour, Fernando Haddad, ancien ministre de l’éducation, ancien maire de Sao Paulo, présenté par le Parti des travailleurs pour remplacer l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, déclaré inéligible en raison d’une condamnation pour corruption, a rassemblé sur son nom une grande partie des suffrages qui s’étaient portés au premier tour sur les autres candidats, mais cela ne lui a pas suffi pour combler le handicap de plus de 16 points enregistré le 7 octobre.
Le Parti des travailleurs, vainqueur des quatre précédentes élections présidentielles, deux fois avec Lula, deux fois avec Dilma Rousseff, qui lui avait succédé, est donc désavoué par une majorité des électeurs, qui ne lui ont pas pardonné son impuissance face à l’insécurité croissante, son incapacité à juguler la récession économique et surtout ses compromissions dans plusieurs affaires de corruption qui ont jeté en prison plusieurs de ses dirigeants. En dépit de ses prises de position marquées par la misogynie, l’homophobie et la nostalgie de la dictature militaire, Jair Bolsonaro, ancien capitaine d’infanterie de 63 ans, obscur député de Rio depuis près de 28 ans, soutenu à la fois par les milieux d’affaires et par les groupes évangéliques, est apparu aux Brésiliens comme le meilleur recours pour en finir avec les années Lula.
Après le temps de la campagne, voici venu pour le nouveau président brésilien celui de l’exercice du pouvoir. Incarnation d’une droite dure et revancharde, il constitue une sérieuse menace pour la démocratie. Tout dépendra de la manière dont il saura ou non, devenu chef de l’Etat, modérer ses emportements et tempérer ses excès de langage. Le programme de Jair Bolsonaro propose, selon le chercheur Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique latine, « une interprétation de la démocratie qui marie libéralisme économique et autoritarisme prétorien » (Le Monde daté 28-29 octobre). Le premier volet de ce diptyque, formulé par son conseiller économique et futur ministre des finances Paulo Guedes, passe notamment par la privatisation des entreprises d’Etat, la baisse des impôts, la révision des dépenses sociales. Le second repose sur « un recours maximal à la violence de la puissance publique ».
Cette alliance d’une vision libérale de l’économie et d’un discours à la fois autoritaire sur le plan politique et traditionaliste sur le plan moral est l’une des formes du populisme qu’ont connu au XXème siècle plusieurs pays d’Amérique latine. Le Chili de Pinochet a été pendant quelques années le tragique creuset d’une pareille combinaison entre dictature militaire et libéralisme radical. La figure d’Allende était alors la cible privilégiée de la droite chilienne comme l’est aujourd’hui celle de Lula pour la droite brésilienne. « L’extrême-droite latino-américaine, note encore Jean-Jacques Kourliandsky, est le lieu de convergence de radicalités ultralibérales en économie, fondamentalistes en religion, sous la conduite d’hommes forts, le plus souvent en uniforme ».
Ces précédents sont de nature à inquiéter. En France en particulier plusieurs dirigeants s’alarment de la montée de l’extrême-droite dans le monde. « D’un continent à l’autre, d’Orban à Trump, de Salvini à Bolsonaro, la démocratie vacille », a déclaré Olivier Faure, premier secrétaire du PS. « L’ombre du fascisme s’étend dans le monde », a estimé Benoît Hamon. Il appartient à Jair Bolsonaro de dissiper ces inquiétudes en maintenant vivante la démocratie brésilienne et en évitant à son pays de revenir aux vieilles pratiques qui ont ensanglanté naguère le continent latino-américain.