Bush-Sarkozy : échange de bons procédés

La France est-elle sur le point d’opérer un virage atlantiste avec l’annonce d’un possible retour de notre pays dans la structure militaire intégrée de l’OTAN et la promesse d’un prochain envoi de renforts militaires en Afghanistan ? La réponse doit être prudente tant la politique étrangère du chef de l’Etat, depuis son arrivée à l’Elysée, demeure erratique et tant il est difficile d’en définir très exactement les orientations. La diplomatie sarkozienne, en effet, semble plus souvent guidée par la préoccupation de faire des coups que par un réel souci de cohérence.

Décider de rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009, à l’occasion de son soixantième anniversaire, constituerait-il une véritable rupture avec la politique suivie par la France depuis quarante ans ? La réponse est ambivalente.

Elle est négative si l’on veut bien considérer que la France est déjà est un contributeur important de l’Otan à la fois par son apport financier et par son apport en hommes. Depuis 1995, la France a recommencé à siéger au comité militaire de l’OTAN tout en ne siégeant pas au comité des plans de Défense et au groupe des plans nucléaires. Jacques Chirac lui-même avait envisagé un retour complet dans la structure militaire intégrée de l’OTAN. Ajoutons enfin qu’à Bucarest le président français a démontré que souhaiter reprendre toute sa place dans les instances militaires de l’Alliance atlantique ne signifiait pas pour autant un alignement sur toutes les positions américaines. Ainsi, avec Berlin et plusieurs autres de ses partenaires européens, le président français s’est-il montré hostile à l’entrée dans l’Otan de l’Ukraine et de la Géorgie pourtant défendue par Georges W. Bush

Un tournant

 Il n’empêche qu’en préparant ce retour dans l’exécutif militaire de l’OTAN, Nicolas Sarkozy lève un tabou, celui de la singularité française fondée sur l’idée chère au général de Gaulle que la France, parce qu’elle demeure une grande puissance ou du moins entend le redevenir, ne peut aliéner sa souveraineté nationale en plaçant sa défense sous tutelle américaine. Certes, la décision de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN relève pour l’essentiel de la symbolique tant la France est déjà impliquée dans l’Alliance militaire. Ce choix est néanmoins inspiré par la conviction que la France est devenue une puissance secondaire et qu’en toute hypothèse l’Union européenne ne peut se concevoir en puissance rivale des Etats-Unis. C’est donc bien là un tournant dans une tradition diplomatique française qui a fait consensus depuis quarante ans.

 Un tel changement de pied est-il justifié ?

 Oui, sans doute, si l’on admet que le monde étant devenu ce qu’il est, plusieurs raisons poussent à ce rapprochement : la difficulté de plus en plus grande pour la France de financer seule une défense digne de ce nom, la nécessité pour les pays européens de mutualiser leur effort militaire, l’attachement de notre partenaire britannique mais aussi des nouveaux membres de l’Union européenne à l’OTAN, la méfiance des Etats-Unis à l’encontre de toute construction européenne de défense qui ne s’inscrirait pas dans le cadre de l’Alliance atlantique.

 D’où l’idée chez Nicolas Sarkozy d’effectuer ce retour plein et entier dans le commandement intégré de l’OTAN en échange d’un feu vert donné par les Etats Unis au développement d’un pilier militaire européen de l’Alliance.

Pieds et poings liés

 Mais on peut tout aussi bien arguer que ce retour ne s’impose nullement. La défense européenne existe déjà, du moins à titre d’ébauche. Si elle peine à se développer, c’est moins par manque de capacité que par absence de volonté politique. L’esquisse d’une défense européenne n’a pas empêché par ailleurs les responsables militaires français de participer à tous les commandements militaires intégrés conçus depuis quinze ans par l’OTAN pour mener à bien des missions ponctuelles. Enfin, il est douteux que les Etats-Unis voient jamais d’un œil véritablement favorable les velléités d’autonomie d’une Défense européenne. George W. Bush, au sommet de l’OTAN de Bucarest, est certes convenu que l’Union européenne devait « être un acteur important sur la scène internationale y compris en matière de sécurité ». Mais c’est aller bien vite en besogne que de voir dans cette déclaration, comme l’a fait Nicolas Sarkozy, « un tournant historique dans la politique des Etats-Unis » justifiant un retour français dans l’OTAN. En toute hypothèse, un tel retour limiterait notre marge de manœuvre et notre capacité d’autonomie. La France aurait-elle pu, comme elle l’a fait en 2003, prendre ses distances vis-à-vis de l’intervention américaine en Irak si elle avait été pieds et poings liés dans le commandement intégré de l’OTAN ?

 On peut enfin se demander si le moment est bien choisi par Nicolas Sarkozy pour opérer ce changement – à supposer qu’il soit justifié-, et rompre avec une singularité française qui a fait consensus depuis quarante ans.

 La France se prépare à réintégrer le commandement militaire d’une organisation atlantique qui ne correspond plus à son concept d’origine, dont le rôle sur l’échiquier mondial demeure imprécis et dont les contours et les finalités sont mal définis. S’agit-il d’une force de police internationale dédiée à la lutte contre le terrorisme ? Est-elle une alliance militaire destinée à défendre les valeurs de l’Occident ? Faut-il y voir une coordination d’armées vassales sous la houlette du suzerain américain et vouées au service de ses intérêts géopolitiques ? Avant d’envisager tout retour dans la structure militaire intégrée de l’OTAN, il eût été opportun d’exiger qu’en soit redessinée la vocation. La France éviterait de la sorte de se fourvoyer dans des missions qu’elle ne saurait approuver.

Enlisement en Afghanistan

 Pour gage de sa volonté de rapprochement, Nicolas Sarkozy a annoncé l’envoi de renforts militaires français en Afghanistan. Mais est-il bien raisonnable d’engager de nouveaux soldats dans ce conflit au seul motif de faire un geste en direction des Etats-Unis ? Accessoirement, était-il judicieux de l’annoncer devant le parlement britannique avant d’en avertir les élus français ? Si les Etats-Unis demandent à leurs alliés d’accroître leur effort militaire en Afghanistan c’est bien parce qu’ils s’y trouvent eux-mêmes en grande difficulté. Bienvenue à Kaboul en 2001, la présence de l’OTAN est aujourd’hui vécue en Afghanistan comme une force d’occupation. Les Occidentaux sont aujourd’hui condamnés à l’enlisement de la même manière que le furent jadis les Soviétiques. Etait-il vraiment opportun pour Nicolas Sarkozy d’engager de nouvelles forces dans cette croisade dont on ne sait plus trop combien de temps elle durera, quel ennemi elle poursuit et quelle cause elle défend ? Avant de faire ce geste lourd de conséquences et dont il n’est pas exclu qu’il fasse de la France après l’Espagne et la Grande Bretagne l’objectif d’actes terroristes, Nicolas Sarkozy aurait dû exiger une évaluation et une redéfinition des missions de l’OTAN en Afghanistan. Les troupes de l’OTAN se battent-elles pour reconstruire un Etat afghan qui n’a jamais vraiment existé, pour éradiquer une guérilla qui s’y développe comme poisson dans l’eau ou pour empêcher que n’y soit reconstruite une base terroriste contre l’Occident ?

 Nicolas Sarkozy s’engage à réintégrer le commandement militaire de l’Otan dès lors que les Etats-Unis accepteront un pilier européen de la Défense atlantique. Et le président français entend bien tirer profit de la présidence française de l’Union européenne (1er juillet- 31 décembre 2008) pour convaincre ses partenaires de hâter l’édification d’un appareil européen de défense. Or, ce calcul semble bien aléatoire. Paradoxalement, le pays qui assure la présidence de l’Union durant six mois, est condamné à fédérer plus qu’à entraîner. Son rôle est de trouver sur chaque sujet le plus petit dénominateur commun susceptible de faire consensus entre les 27 ! Or, pour bon nombre d’entre eux, nos voisins européens se satisfont du parapluie américain et ne manifestent aucun enthousiasme pour le développement d’une défense européenne autonome. De son côté, notre premier partenaire en matière de défense, le Premier ministre britannique Gordon Brown, n’entend prendre aucune initiative tant que le parlement britannique n’aura pas ratifié le traité simplifié sur les institutions européennes. Quant aux Etats-Unis, les dernières déclarations de George W. Bush ne signifient pas une pleine adhésion à l’idée d’un pilier européen de la défense au sein de l’OTAN. Faut-il ajouter que les bonnes paroles d’un président finissant n’engagent nullement celui ou celle qui lui succédera à la maison Blanche dans quelques mois.

Improvisation et désinvolture 

 Il est donc légitime de s’interroger sur les véritables motivations du président Sarkozy. Sa démarche procède-t-elle d’une longue et mûre réflexion ? Ne relève-t-elle pas, une fois encore, de la volonté de faire un coup politique comme il en a été de la proclamation trop hâtive de la fin de la « Françafrique », de l’annonce prématurée de « l’Union méditerranéenne » ou du choix contradictoire de Bernard Kouchner pour porter notre diplomatie et de Hubert Védrine pour définir notre approche de la mondialisation ! L’improvisation et la désinvolture avec laquelle le chef de l’Etat a pris la décision de faire retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN inclinent à penser qu’il s’agit d’un coup de politique intérieure autant que d’un choix de politique étrangère. Après le désamour qu’il a connu dans l’opinion, Nicolas Sarkozy s’efforce de se re-présidentialiser en démontrant sa capacité d’agir sur la scène internationale. Si tel était le cas, ce changement diplomatique, lourd de conséquences, ne serait somme toute que l’effet d’un prosaïque échange de bon procédés entre un président Bush en perdition et un président Sarkozy en réparation !