Campagne européenne : l’occasion manquée

Pour dynamiser la campagne des élections européennes, certains, dont Jacques Delors, avaient suggéré que chacun des grands partis européens présente, en même temps que ses candidats au Parlement, son candidat à la présidence de la Commission. La démarche aurait à la fois personnalisé et « européanisé » le débat électoral. L’idée était séduisante. A droite comme à gauche, on semblait prêt à la mettre en œuvre. Il n’en a rien été. L’occasion a été manquée de faire naître un espace public européen.

Au début, chacun donnait l’impression d’y croire. Nicolas Sarkozy et ses amis du Parti populaire européen (PPE), premier groupe de l’Assemblée de Strasbourg, avaient fait savoir qu’ils étaient favorables à la reconduction de José Manuel Barroso, président sortant. Les socialistes français mettaient en avant la candidature de Poul Nyrup Rasmussen, président (danois) du Parti socialiste européen (PSE), que soutenaient la plupart des partis sociaux-démocrates. 

Les libéraux étaient prêts à se donner pour champion l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, auquel le Modem, en France, apportait son appui. Les Verts pouvaient s’aligner derrière l’un ou l’autre de leurs prestigieux chefs de file, Daniel Cohn-Bendit ou Joschka Fischer, ancien ministre allemand des affaires étrangères. On imaginait déjà un beau combat entre ces fortes personnalités, programme contre programme, homme contre homme, à l’échelle de l’UE. On se disait qu’une telle campagne devait enfin mobiliser des citoyens plutôt portés à l’abstention. 

Le combat n’a pas eu lieu. Les partis se sont dérobés, ils ont renoncé à se mettre en ordre de bataille derrière une tête de liste transeuropéenne. Pourquoi ? Chacun d’eux avait ses raisons. Les socialistes européens n’ont pas réussi à s’entendre sur le nom d’un candidat unique puisque les sociaux-démocrates au pouvoir à Londres, Madrid et Lisbonne se sont prononcés pour le renouvellement du mandat de M. Barroso. Du coup, les socialistes français ont mis en sourdine leur volonté de promouvoir la candidature de M. Rasmussen. 

A droite, M. Sarkozy, après avoir annoncé son soutien à M. Barroso, a reculé. Le moment n’est pas venu, a-t-il dit, de choisir le président de la future Commission. Mieux vaut respecter les échéances et laisser aux chefs d’Etat et de gouvernement, au lendemain des élections européennes, le soin de proposer un candidat, dont le nom sera ensuite soumis au Parlement. En cas de victoire de la droite aux européennes, ce candidat sera, selon toute vraisemblance, M. Barroso lui-même, mais il n’est pas question de demander aux électeurs de le plébisciter, d’abord parce que son impopularité, en particulier en France, ferait du tort à ceux qui veulent le maintenir à la tête de la Commission, ensuite et surtout parce qu’il appartient aux Etats, et non aux citoyens, selon les traités, de choisir le candidat. 

Quant aux libéraux européens, qui se reconnaissent dans les options et la personne de Guy Verhofstadt, se sachant minoritaires, ils ne veulent pas, selon leur présidente, Annemie Neyts, « l’envoyer au casse-pipe ». Même raisonnement chez les Verts, qui n’entendent pas livrer un combat perdu d’avance. Résultat : le président de la Commission ne sera pas élu, même indirectement, au suffrage universel, comme il l’aurait été si les électeurs avaient pu le désigner en même temps qu’ils élisaient leurs eurodéputés. Il continuera d’être issu d’obscures tractations entre les gouvernements des Vingt-Sept.