Les Chinois sont partagés entre la fierté nationale et le scepticisme commercial. Qu’une petite société automobile, la première entreprise privée du secteur en Chine mais la dixième en termes absolus, ait acheté la célèbre marque suédoise Volvo au pionnier de l’industrie automobile Ford, est un événement qui n’est pas passé inaperçu à Pékin. Geely – c’est le nom de l’entreprise – a été créé il y a quelque dix ans par un jeune ingénieur mécanicien qui avait commencé dans les affaires en ouvrant un atelier photographique dans son village natal. A 46 ans, Li Shufu réalise aujourd’hui son rêve. Après avoir fabriqué des pièces détachées pour réfrigérateurs puis des motocyclettes et enfin des voitures rudimentaires pour le marché local, il voulait construire des Mercedes. Ce sera des Volvo. C’est un « must » pour un industriel qui est déjà partie prenante dans la production des célèbres taxis londoniens.
Trois objectifs
Avec l’acquisition de Volvo pour 2 milliards de dollars — Ford l’avait payé 6,45 milliards il y a dix ans —, Li Shufu poursuit officiellement trois objectifs : ouvrir le marché mondial aux voitures chinoises, développer une grande marque chinoise avec des technologies nouvelles (toutes les voitures qui sortiront de cette alliance seront des véhicules hybrides), et enfin offrir aux consommateurs chinois l’accès à des voitures propres, sûres et accessibles.
Le « Henry Ford chinois », comme l’a surnommé The Economist, a reçu le soutien des autorités chinoises, ce qui va sans dire, sinon l’accord ne ce serait pas fait, mais ce qui n’allait pas de soi car les Chinois ont déjà fait de mauvaises expériences dans ce secteur.
C’est ce qui explique sans doute le scepticisme des spécialistes chinois de l’automobile, scepticisme dont se fait l’écho la presse locale.
Certes la Chine est devenue le plus grand marché automobile du monde, avec 13,6 millions de voitures vendues en 2009, soit une augmentation de 46% par rapport à l’année précédente. Et le marché est loin d’être saturé, si les rues des grandes métropoles le sont déjà. Mais Volvo est « un gros morceau à avaler », pour citer le titre du quotidien anglophone de Pékin China Daily. En 2008, Volvo a enregistré 1,69 millions de dollars de pertes (10 milliards de yuans), note le journal, alors que le bénéfice de Geely n’a pas dépassé 1 milliard de yuans, soit dix fois moins. La firme de Hanzhou a trouvé le financement des 2 milliards de dollars nécessaires à l’achat de Volvo auprès d’institutions financières chinoises et de gouvernements locaux, mais les experts estiment qu’il lui faudra encore dépenser quelque 1,6 milliard de dollars pour relancer l’activité de la firme suédoise. D’où viendra l’argent, se demandent-ils ?
Li Shufu a promis de sortir Volvo du rouge en deux ans. Il n’est pas certain qu’il y parvienne mais s’il réussit, ce peut être au détriment de la rentabilité de sa propre société, Geely, notent les experts. D’où le commentaire prudent, voire pessimiste du China Daily : l’achat de Volvo peut être pour Geely « la voie royale vers le marché mondial comme le plus court chemin vers la ruine ». C’est la dure loi du capitalisme.