Carnets de Pékin (12) : locataires contre propriétaires

Le quotidien en anglais China Daily consacre une page entière à un billet d’une de ses collaboratrices qui critique l’obsession chez ses compatriotes de la propriété immobilière et qui vante, au contraire, les mérites d’une pratique peu en cour : la location. « Carnets de Pékin, numéro 12 ».

La Chine compte 150 millions de personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté et 230 millions de travailleurs migrants dont la plupart vivent comme des parias. Il ne faut pas ajouter les deux chiffres pour obtenir le nombre de pauvres car ce serait compter deux fois certains migrants qui appartiennent aussi à la première catégorie. Mais, au total, plus de 300 millions de Chinois ne participent pas à la vague de prospérité qui submerge le pays. Et qui provoque des casse-tête inédits aux nouveaux riches.

Alors que le coût de l’immobilier explose dans les grandes villes, que faire ? Acheter ou louer ? Telle est la question.

D’une année sur l’autre, les prix de l’immobilier ont explosé : +25%, la plus forte augmentation depuis 2001. Et pourtant, « le foncier est une obsession nationale », raconte Qi Zhai, chroniqueuse du China Daily. Pas seulement chez les plus riches. « Les familles les moins fortunées mettent de l’argent de côté pour acheter des appartements à leurs enfants, en particulier aux garçons, explique-t-elle, avant même que les chères créatures aient quitté la maternité […] Il semble que la vie ne commence ou ne s’arrête en Chine aussi longtemps que vous n’avez pas votre propre logement. »

Les hommes ont du mal à trouver l’âme sœur s’ils ne peuvent pas prouver qu’ils sont propriétaires, ou en voie de l’être. Les jeunes couples repoussent la date de leur mariage jusqu’à ce qu’ils aient de quoi s’acheter un appartement. Dans les autres cas, ils ajournent le moment où avoir des enfants. Résultat : 80% des Chinois sont propriétaires, y compris dans les immeubles issus du domaine public. Autre statistique révélatrice : 96,9% des Chinois, selon une enquête d’opinion, n’envisage pas de se marier aussi longtemps qu’ils sont locataires de leur logement.

Une préférence culturelle

Qi Zhai raconte qu’elle suscite toujours l’étonnement de ses compatriotes quand elle leur explique que pendant dix ans, à l’étranger, elle a été locataire. La première question que pose une jeune femme avant de s’engager est de savoir quel est le salaire de son soupirant, ensuite s’il a une voiture et un appartement. Quand ce ne sont pas les jeunes eux-mêmes qui sont intransigeants sur cette « préférence culturelle », ce sont les parents qui les y poussent.

La journaliste ne se prétend pas économiste. Elle n’argumente pas en faveur de la location en termes de coût et de rentabilité. Pour elle, la location a d’autres avantages. Elle permet la mobilité géographique, la possibilité d’accepter un bon job loin de sa ville natale. Elle garantit un bien précieux, la liberté. Qi Zhai a fait elle-même l’expérience. Elle a consacré l’argent qu’elle aurait mis pour se loger à l’achat de billets d’avion qui lui ont permis de voyager. Impossible si elle avait eu des traites à payer chaque mois.

Elle n’est pas seule dans son cas. Elle rappelle qu’un magazine féminin populaire a interrogé six couples de la classe moyenne qui louent leur appartement. Tous disent qu’ils ressentent moins de pression et qu’ils profitent mieux de la liberté de dépenser de l’argent pour satisfaire d’autres envies. « Est-il possible, se demande Qi Zhai, que ce soit le début d’un changement d’attitude parmi les Chinois modernes ? »