Carnets de Pékin (18) : Pékin entre Téhéran et Washington

Le président Hu Jintao représentera la Chine au sommet sur la sécurité nucléaire organisé par Barack Obama, les 12 et 13 avril à Washington, manifestant ainsi l’intérêt qu’il porte à maintenir des relations suivies avec les Etats-Unis. Cette annonce est intervenue au moment où les Chinois se déclaraient prêts à discuter avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne de nouvelles sanctions contre l’Iran. Pékin continue de donner la priorité à la négociation pour résoudre le problème nucléaire iranien mais manifeste sa bonne volonté en ne refusant pas la discussion. (Pour une analyse exhaustive de la position chinoise vis-à-vis de l’Iran, voir Asia Briefing N°100 de l’International Crisis Group : www.crisisgroup.org)

La présence de Hu Jintao au sommet sur la sécurité nucléaire de Washington et l’annonce concomitante de la participation de la Chine aux discussions en vue de nouvelles sanctions contre Téhéran montrent la volonté de Pékin de poursuivre ses relations stratégiques avec les Etats-Unis malgré les tensions des derniers mois. Sur le fond, la Chine n’est pas d’accord avec la politique occidentale vis-à-vis de l’Iran et avec la manière dont les Occidentaux cherchent à empêcher le régime des mollahs de se doter de l’arme nucléaire. Mais la Chine ne veut pas se retrouver isolée, alors que la Russie penche vers un durcissement du régime des sanctions. Et surtout, elle ne veut pas mettre en danger ses rapports avec les Etats-Unis à cause de l’Iran.

Il n’en reste pas moins que Pékin a une analyse différente de celle des Occidentaux des dangers potentiels contenus dans le programme nucléaire iranien. Et ceci pour plusieurs raisons.

Le TNP mais tout le TNP

Certes la Chine se prononce régulièrement contre la prolifération des armes nucléaires. Elle tient au statut particulier que lui confère sa présence parmi les cinq grandes puissances nucléaires (avec les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la France) et ne tient pas à changer le rapport des forces. Elle considère en outre que les petites puissances ne sont pas aussi « responsables » que les grandes et que la prolifération nucléaire porte en elle des risques de conflit. 

Elle estime toutefois ne pas avoir la preuve que l’Iran ait un programme nucléaire militaire et elle ne partage le sentiment d’urgence exprimé par les dirigeants occidentaux, en particulier par Nicolas Sarkozy. Elle veut l’application du TNP, le Traité de non prolifération des armes nucléaires, mais de tout le TNP, avec ses trois piliers, la non-prolifération, le développement du nucléaire civil et le désarmement. Elle reproche aux Occidentaux de privilégier le premier et de contester aux Iraniens le droit de mener à bien un programme nucléaire civil. Elle leur reproche aussi d’appliquer le principe du deux poids, deux mesures quand il s’agit du programme nucléaire d’Israël, de l’Inde, voire du Pakistan, trois pays qui ne sont pas signataires du TNP, contrairement à l’Iran.

De plus, il lui paraît que les adversaires les plus déterminés du nucléaire iranien sont les premiers responsables de la situation actuelle, les Etats-Unis en ayant jadis encouragé le shah, les Européens en ayant entretenu des relations économiques étroites avec l’Iran, la Russie en étant son principal fournisseur d’armes. C’est pourquoi la Chine ne s’interdit pas d’apparaître comme un soutien de Téhéran, un moyen pour elle de renforcer sa position de négociation avec les Etats-Unis sur d’autres sujets controversés, comme les ventes d’armes à Taïwan.

Pétrole contre produits raffinés

Si les intérêts économiques n’expliquent pas tout, ils ne sont pas absents des réflexions chinoises. L’Iran est le troisième fournisseur de pétrole brut de la Chine, après l’Arabie saoudite et l’Angola, et la Chine, en revanche, compte pour un tiers des importations de produits pétroliers raffinés de l’Iran. Pékin a besoin d’énergie et dispose de larges ressources financières pour investir en Iran et occuper la place laissée vide par les compagnies occidentales, à la suite des sanctions. Bien que les sociétés chinoises se plaignent de ne pas être épargnées par les tracasseries bureaucratiques persanes, Téhéran est intéressé à développer sa coopération avec la Chine. Les intérêts croisés devraient dissuader Pékin de se joindre aux sanctions internationales.

Les considérations économiques sont renforcées par les réflexions géopolitiques. La Chine s’intéresse de plus en plus à ce qu’elle appelle sa « grande périphérie », c’est-à-dire le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Les Etats-Unis sont dominants dans le premier et de plus en plus présents dans la seconde depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pékin et Téhéran partagent la même préoccupation : limiter l’hégémonie américaine dans ces deux régions et le rôle de l’Iran comme puissance régionale peut être un contrepoids bienvenu aux Américains.

L’attention portée au monde musulman

C’est aussi la raison pour laquelle la Chine, méfiante vis-à-vis des « révolutions de couleur » qui ont eu lieu en Europe de l’Est et dans un Etat au moins d’Asie centrale, le Kirghizstan, ne voudrait pas que les sanctions contre le programme nucléaire cache, de la part des Américains, une volonté de changer le régime iranien, surtout après la réélection contesté de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009.

Les Chinois n’éprouvent aucune sympathie particulière pour le régime des mollahs mais un Iran stable leur parait moins dangereux pour leurs propres intérêts dans les confins occidentaux de leur pays. En ne s’opposant pas à Téhéran sur le nucléaire, ils comptent, en contrepartie, sur une abstention bienveillante dans leurs affaires intérieures, notamment dans le Xinjiang musulman.

A tous ces arguments s’ajoutent la proximité créée par l’histoire, l’expérience commune des interventions étrangères et l’inefficacité des sanctions, pour amener Pékin à se montrer très méfiant vis-à-vis des propositions occidentales. Toutefois, les dirigeants chinois continuent de soutenir l’idée lancée il y a quelques mois au sein de l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, d’un enrichissement de l’uranium iranien à l’extérieur, en Russie ou en France, pour les besoins de la recherche médicale. A ce propos la position des dirigeants iraniens est apparue souvent contradictoire. Mais ils semblent avoir mis au point, implicitement au moins, un scénario avec les Chinois. Quand de nouvelles sanctions internationales menacent, ils laissent entendre qu’ils n’ont pas totalement rejeté la proposition de l’AIEA, et Pékin en tire argument pour montrer que la voie de la négociation reste ouverte et s’opposer aux sanctions.

Cette tactique a pour effet de retarder l’application des sanctions et d’en atténuer la rigueur. Elle ne les empêche pas complètement. Il est fort probable qu’il en aille de même maintenant qu’un quatrième train de sanctions est en discussion. Les Chinois n’utiliseront pas leur droit de veto au Conseil de sécurité, sauf si les Russes étaient eux aussi disposés à le faire, ce qui ne paraît pas être le cas. Les Chinois ne veulent pas se retrouver isolés et mettre en danger leurs relations avec les Etats-Unis, même s’ils ont adopté une attitude plus dure depuis la crise économique. Ils estiment en effet que le rapport de forces a évolué en leur faveur, non seulement parce qu’ils se sont mieux sortis de la crise que bien des Etats occidentaux mais aussi parce qu’ils ont apporté une contribution irremplaçable à la reprise internationale.