Google s’est tiré une balle dans le pied. C’est le leitmotiv des commentaires chinois sur la fermeture du site google.cn, annoncée mardi 23 mars. Elle devait être effective à partir du 10 avril mais déjà, la recherche sur google.cn aboutit à des pages blanches. Après près de quatre ans de présence en Chine, la firme américaine a décidé de ne plus pratiquer l’autocensure sur les sujets jugés sensibles par les autorités communistes, par exemple ceux qui concernent les dissidents, la secte Falungong ou les événements de 1989 sur la place Tien Anmen.
La position du pouvoir est claire : il revient aux sociétés étrangères installées en Chine, comme aux compagnies chinoises d’ailleurs, de respecter les lois du pays. Celles-ci interdisent la production ou la diffusion d’informations mettant en danger « la sécurité nationale ou minant l’unité nationale », diffusant des « cultes diaboliques » ou répandant des « rumeurs susceptibles de troubler l’ordre public ou de détruire la stabilité sociale ». Elles interdisent aussi « toute autre information interdite par la loi ou les règlements administratifs ».
Même certains commentateurs chinois trouvent que l’imprécision des termes est propice à tous les abus. Mais depuis 2006, depuis que Google était présent en Chine, la société s’était pliée, comme les autres moteurs de recherche, à l’autocensure imposée par les autorités. En janvier, cette situation a paru insupportable à Google qui a menaçé de quitter la Chine s’il devait continuer à se soumettre à cette pratique, contraire à liberté d’expression. Un autre argument a été avancé par les responsables de Google : le moteur de recherche a fait l’objet d’une attaque massive de « hackers » qui sont entrés dans les comptes e-mail de clients dont des dissidents. Google considère que cette attaque n’a pas pu avoir lieu sans l’assentiment au moins tacite des autorités.
Pour autant Google ne quitte pas la Chine. Il garde son équipe – environ 600 personnes – pour poursuivre le travail de recherche et de développement, ainsi que l’activité commerciale.
Les commentaires chinois veulent voir dans cette affaire un cas individuel : « C’est le problème de Google ». Les autorités évitent de lier la question à la détérioration générale des relations sino-américaines, sauf si le différend est « politisé », autrement dit si les Etats-Unis veulent utiliser ce prétexte pour envenimer les rapports entre les deux pays.
D’un point de vue purement commercial, Google n’a à s’en prendre qu’à lui-même, dit-on, s’il quitte le plus grand marché du monde, avec 350 millions d’internautes, représentant un milliard de dollars de recettes publicitaires. A contrario, c’est peut-être une concurrence trop vive de la part du moteur de recherche chinois Baidu, qui occupe 60% du marché local (contre 35% à son rival américain), qui incite Google à partir, ajoute-on. En tous cas, les autres concurrents seront trop contents de se répartir les parts de marché abandonné par Google.
Les commentateurs chinois ne sont pas les seuls à suggérer que le coup d’éclat de Google n’a peut-être pas que des raisons honorables. Depuis longtemps, les organisations de défense des droits de l’homme et certains actionnaires critiquaient cette soumission à la censure. La société américaine aurait saisi un prétexte pour se donner le beau rôle et se présenter en héraut de la liberté d’expression, soupçonne le magazine allemand Der Spiegel, alors que les vraies raisons de sa décision sont d’ordre commercial.