Soucieux de stabilité autant que d’égalité, le gouvernement chinois est conscient du mécontentement larvé que provoque chez les migrants de la « nouvelle génération », l’imposition du hukou, ce permis de résidence obligatoire ou passeport intérieur, qui freine la mobilité de la main d’œuvre de la campagne vers les villes. Mais il avance à petits pas. Lors de la session de printemps de l’Assemblée nationale populaire qui vient de s’achever à Pékin, le premier ministre, Wen Jiabao, a annoncé une réforme prudente et progressive du système et quelques expériences-pilotes dans les villes petites et moyennes.
Pas vraiment de quoi combler les attentes de cette « nouvelle génération ». On appelle ainsi les jeunes nés dans les campagnes à partir des années 1980, quand a commencé la réforme économique, et qui ont quitté la campagne pour la ville aussitôt finies leurs études secondaires. Il faut y ajouter aussi les enfants de migrants nés en ville. Ils sont une centaine de millions sur les quelque 230 millions de « migrants » que comptent la Chine. Ce sont ces ruraux qui ont émigré vers les villes attirés par les nouveaux emplois créés par le boom économique mais qui, toujours enregistrés dans leur village natal, ne jouissent pas des mêmes droits que les citadins : pas de sécurité sociale, pas ou peu d’écoles pour leurs enfants, pas d’accès au logement.
Aucune expérience agricole
Ils sont arrivés dans les villes en trois vagues. La première, dans les années 1980, était composée de paysans qui allaient travailler dans l’usine la plus proche. La deuxième, dans les années 1990, comptait les ruraux qui, pour travailler en ville, abandonnaient provisoirement leurs champs dans l’espoir d’y revenir après s’être enrichis. La vague actuelle est formée des jeunes qui veulent travailler et vivre en ville, comme des citadins. Ils n’ont aucune expérience des travaux agricoles et d’ailleurs, ils ne possèdent en général pas de lopin, la terre ayant été distribuée au début de la réforme économique, bien avant leur naissance. De toute façon, ils n’ont aucune envie de connaître le mode de vie de leurs parents. Ils ont des exigences plus fortes, ils veulent un travail plus stable et mieux rémunéré, ils aspirent à des conditions égales à celles des citadins et ils acceptent mal les restrictions qui leur sont imposées. Mais leur statut précaire les place dans une position de faiblesse.
La solution consiste-t-elle alors à supprimer purement et simplement le hukou ? Les experts se disputent sur ce point. La première difficulté est affaire d’aménagement du territoire. Comment gérer les migrations d’une population totale de plus de 1,3 milliard d’individus ? Mais cette question en cache en fait une autre, beaucoup plus politique : comment abandonner un système qui existe depuis 1958 et qui, comme la propyska du temps de l’Union soviétique, est un moyen de contrôler les individus ?
La deuxième objection est d’ordre financier : comment assurer à toute la population un accès égal aux équipements sociaux urbains ou à leur équivalent ? Pour garantir aux ruraux les mêmes avantages sociaux, en matière de retraites, d’assurance sociale, de logement, d’éducation, qu’aux citadins, l’Etat devrait dégager des crédits supplémentaires d’environ 1650 milliards de yuans par an (plus de 170 milliards d’euros).
Avant de songer à supprimer le hukou, disent les adversaires de cette mesure, il faut mettre en place un nouveau système de sécurité sociale et faire attention de ne pas remplacer l’actuel mode d’enregistrement de la population par un mécanisme encore plus contraignant.
Les « petits pas » inefficaces
Les partisans de l’abolition considèrent, en revanche, que la politique des « petits pas » amorcée par le gouvernement est inefficace. Permettre aux migrants de s’installer dans les villes petites et moyennes, c’est-à-dire dont la population est inférieure à 500 000 habitants, et leur donner les mêmes droits qu’aux citadins, ne répond pas au vrai problème. En effet, les migrants vont vers les grandes villes et les mégapoles parce que c’est là que les possibilités de trouver du travail sont les plus grandes et les équipements sociaux les plus développés, et parce que les meilleures conditions de vie y attirent les jeunes.
D’autre part, la réforme ne peut être circonscrite à l’intérieur des collectivités territoriales (districts ou provinces) car les mouvements migratoires sont beaucoup plus vastes et affectent le pays tout entier.
Enfin, la réforme doit embrasser tous les aspects de la vie. Depuis 2004 déjà, les autorités locales devraient permettre l’accès des migrants aux logements sociaux et celui des écoles publiques à leurs enfants. Mais c’est la théorie. En réalité, elles ne le font pas, en arguant d’un manque de moyens financiers et rien n’est prévu ni pour les retraites ni pour l’assurance médicale.
La plupart du temps, les autorités ferment les yeux et tolèrent que ces « migrants » demeurent en ville « illégalement ». Mais les jeunes supportent de moins en moins cette situation précaire, les inégalités sociales qu’elle engendre et les discriminations qu’elle favorise. Ils réclament leur juste part du « miracle économique » chinois.