« La principale raison pour laquelle l’arrestation a eu lieu maintenant est le changement de gouvernement [à Belgrade] », a déclaré Dejan Anastasijevic, un commentateur libéral cité par le Herald Tribune du 23 juillet. En effet, même si Karadzic se cachait sous un pseudonyme et une grande barbe blanche, il y a sans doute longtemps qu’il aurait pu être remis au Tribunal pénal international pour la Yougoslavie à La Haye, si les gouvernements précédents l’avaient voulu. Composés d’adversaires du potentat serbe Slobodan Milosevic mais dirigés par le nationaliste Vojislav Kostunica, ils ne le voulaient pas.
La donne a changé avec le gouvernement actuel, où se retrouvent certes les démocrates de Boris Tadic, le président serbe, mais aussi les socialistes du parti de feu Milosevic. La mue de vient pas des démocrates mais des socialistes, qui occupent le ministère de l’intérieur, un lieu stratégique en la matière. Le chef du Parti socialiste de Serbie (SPS), Ivica Dacic, est lui-même ministre de l’intérieur.
Si ce signe ne trompe pas, ceci signifie que le SPS a véritablement rompu avec l’époque Milosevic, qu’il a cessé de défendre l’idée utopique d’une Grande Serbie, qu’il reconnaît au moins implicitement les crimes commis en son nom contre les autres peuples de l’ex-Yougoslavie et qu’il admet que l’avenir de la Serbie n’est pas dans une hypothétique alliance des Slaves sous la houlette de Moscou…
Autrement dit, cet héritier un peu lointain et dégénéré du communisme serbo-yougoslave suit le même chemin que les anciens partis communistes d’Europe centrale et de l’Est. Ces derniers se sont transformés depuis longtemps en parti sociaux-démocrates, adeptes de l’intégration européenne et de l’économie de marché. Dans ce mouvement, les Serbes faisaient figure d’exception. Ils ont à rattraper un long retard qui a coûté des dizaines, voire des centaines de milliers de vies humaines, mais ils semblent en prendre le chemin.
Restent au moins deux obstacles sur la voie de leur complète conversion. Le premier obstacle est le plus facile à franchir : l’arrestation de Ratko Mladic, qui ne devrait plus être qu’une question de semaines et peut-être même de jours. Le second est plus sérieux : la normalisation des relations avec le Kosovo, à tout le moins la reconnaissance que la province, qui a déclaré son indépendance au printemps avec le soutien des Etats-Unis et d’une partie de l’Union européenne, ne fait plus partie de la Serbie. C’est un aveu difficile pour tous les Serbes, qu’ils se réclament du nationalisme le plus intransigeant ou d’une orientation démocratique et européenne. Mais c’est un geste indispensable pour solder définitivement le passé. Les socialistes sont les mieux placés pour franchir le pas. N’était-ce pas au Kosovo que Milosevic, par ses diatribes anti-albanaises, a donné le signal de l’éclatement de la Yougoslavie et de la guerre ? C’était en 1989, il y a presque vingt ans.