Chine/Etats-Unis : rééquilibrage impossible ?

En adoptant un gigantesque plan de relance de 4000 milliards de yuan (soit plus de 450 milliards d’euros, représentant rien moins que 14 % du PIB chinois), la Chine parviendra-t-elle à rendre sa croissance moins dépendante des exportations vers les Etats-Unis ? Rien n’est moins sûr.

Le premier objectif du gouvernement chinois est essentiellement dérivé de considérations politiques internes. La Chine a besoin d’un taux de croissance d’au moins 7 à 8 % pour garantir sa stabilité sociale. Les conflits sociaux en réaction à des fermetures d’usines ou de mauvaises conditions salariales se multiplient dans les provinces chinoises, faisant parfois chanceler les autorités locales. Maintenir une croissance élevée accompagnée d’une certaine redistribution est ainsi la seule garantie de survie du régime.

Or la croissance est passée sous la barre des 10% au troisième trimestre 2008. Elle devrait être de 7 à 8 % l’an prochain, selon toutes les analyses. La banque centrale a déjà abaissé ses taux d’intérêt à trois reprises depuis la mi-septembre pour éviter une nouvelle dégradation, mais les effets tardent à se faire sentir. Une relance budgétaire directe pourrait apporter un peu de réconfort bienvenu à un corps social qui reste malgré tout assez frondeur et imprévisible. La Chine a largement les moyens de ne pas se priver de ce genre d’outil.

Le deuxième objectif est plus stratégique : il consiste à modifier peu à peu des équilibres économiques et commerciaux mondiaux jugés par certains intenables à moyen terme. La Chine détient plus de 20 % des bons du Trésor américain. Ses réserves de change s’élèvent au total à près de 2000 milliards de dollars. Il faut mesurer la rapidité de constitution de cette réserve, qui suit une courbe exponentielle. En 2000, elles ne s’élevaient qu’à un peu plus de 150 milliards d’euros : elles ont donc été plus que décuplées en 8 ans. Les dirigeant chinois ont parfois l’impression d’être incapables de freiner cette progression, et même de ne rien pouvoir faire de cette manne : revendre ces avoirs en dollars précipiterait leur dévaluation, et donc ralentirait encore les importations américaines de produit chinois, bridant ainsi la croissance. Faire en sorte que la croissance du pays repose un peu moins sur les importations américaines et un peu plus sur la consommation intérieure, ce à quoi peut aider une injection budgétaire de l’ampleur de celle décidée, permettrait donc de consolider l’économie chinoise en la rendant plus autonome.

Tout change pour que rien ne change ?

Le risque perçu par certains, côté chinois, est en fait que tout change pour que rien ne change. Les Etats-Unis ont eux aussi adopté des mesures budgétaires d’une ampleur sans précédent, sauf que eux n’ont pas les moyens d’autofinancer ces mesures : d’où les appels pressants à ce que l’épargne mondiale, Chine et Japon en tête, continue sans faiblir de financer une économie américaine où la dette privée défaillante aurait été de facto remplacée par de la dette publique, indéfectible. En somme, pour éviter de freiner, on garde peu ou prou la même trajectoire et on accélère : les Etats-Unis évitent la récession grâce à un nouvel endettement massif financé par des exportations chinoises qui soutiennent la croissance en Chine et maintiennent un taux d’inflation bas aux Etats-Unis.

Mais une croissance exponentielle du financement chinois de l’économie américaine peut-elle être durable ? Le dollar risque une chute qui dépréciera d’autant les avoirs en dollars et obligera la Chine à réorienter sa croissance en interne. Ce mouvement pourrait même être provoqué en amont par des tentations protectionnistes côté américain envers les produits chinois, le « China bashing » ayant occupé une place importante dans la campagne. La veille du scrutin, Barack Obama publiait encore une lettre ouverte dans laquelle il dénonçait le fait que la Chine manipulait le taux de change de sa monnaie pour accentuer la compétitivité de ses industries. Acquérir davantage d’autonomie semble donc légitime, même si rien n’est gagné d’avance : la faible consommation actuelle des ménages chinois est largement la conséquence de la nécessité d’épargner de façon importante pour couvrir les frais de santé, de retraite et autres couvertures sociales qu’un système étatique encore très parcellaire ne prend pas en charge. Mettre en place un tel système dans un pays de la taille de la Chine est évidemment incroyablement compliqué, et cela froisse certains gouverneurs locaux qui ne veulent pas voir le coût du travail encore augmenter alors qu’ils ont déjà du mal à gérer les conséquences des fermetures d’usines qui se multiplient.

Bref, comme l’expliquait récemment au Figaro un professeur de la People’s University of China, « le débat n’est pas clos entre ceux qui veulent que l’on arrête de financer la dette américaine et ceux qui estiment qu’il faut continuer à acheter des obligations du Trésor car plus l’économie des Etats-Unis plongera, plus la Chine exportatrice souffrira ». Une chose est sûre, les équilibres financier et commerciaux mondiaux post-crise restent encore à trouver, et la Chine entend bien ne pas s’y faire léser.