Au moment où la Chine devient la deuxième puissance économique mondiale (en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat) et s’affirme comme l’un des principaux acteurs de la diplomatie internationale, comment douter qu’elle n’impose désormais, face à un Japon en crise, son hégémonie sur l’Asie ? Cette idée reçue ne va pourtant pas de soi.
Ce serait une illusion de croire, comme le soutiennent certains, qu’un soleil se lève et qu’un autre se couche, affirme l’économiste Claude Meyer, auteur de Chine ou Japon : quel leader pour l’Asie ? (Presses de Sciences Po), qui était l’invité d’un débat organisé mardi 30 mars à Sciences Po. Pour l’auteur, il est faux d’opposer une Chine conquérante à laquelle tout réussirait à un Japon qui ne serait pas sorti de la crise. Comme si l’avenir de l’Asie était déjà joué autour du pôle chinois.
Puissance économique, puissance stratégique
Aucun des deux pays, estime-t-il, ne peut prétendre à un leadership global. Le Japon reste le leader économique, en raison de sa maîtrise financière et de son expertise technologique. S’il est passé à la troisième place, derrière la Chine, en termes de PIB (à parité de pouvoir d’achat), il la devance largement pour le PIB par habitant. En revanche, son pacifisme l’empêche d’aspirer au leadership stratégique et le réduit au rôle d’une grande puissance civile, active en matière de désarmement ou de leuutre contre la prolifération.
La Chine, qui dispose de l’arme nucléaire et d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, est, elle, une puissance stratégique, mais elle n’est qu’une puissance économique en devenir. Comment cette situation évoluera-t-il dans les vingt prochaines années ?
Trois scénarios
M. Meyer imagine trois scénarios : l’affrontement, y compris armé, entre les deux pays, la soumission du Japon à l’hégémonie chinoise ou la mise en place d’une coopération sur le modèle franco-allemand. Pour lui, aucun de ces scénarios n’étant vraiment plausible, l’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’un « co-leadership instable et relativement conflictuel ».
A plus long terme, le Japon devrait continuer à jouer son rôle propre dans le cadre d’une communauté asiatique dont la configuration lui sera plus ou moins favorable selon qu’elle inclura, ou non, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, c’est-à-dire des pays démocratiques amis.
Les contentieux de la deuxième guerre mondiale
Dans la discussion qui a suivi, Eric Seizelet, spécialiste du Japon, a jugé cruciale pour la stabilité de la région la relation sino-japonaise. Une relation ancienne, ambiguë et conflictuelle, a-t-il dit, au sein d’une organisation régionale encore faible et toujours marquée par les contentieux de la deuxième guerre mondiale puis de la guerre froide.
Il faudra compter aussi, a ajouté l’orateur, avec d’autres acteurs tels que l’Inde, les Etats-Unis, dont la présence militaire est importante, la Corée du Sud ou la Russie. Le Japon a-t-il vraiment renoncé à devenir une puissance politique ? M. Seizelet n’en est pas convaincu. Même si « personne ne peut croire sérieusement à la renaissance du militarisme japonais », le pays n’entend pas « baisser sa garde » et ne craint pas d’améliorer discrètement son appareil militaire, qu’il met d’ores et déjà au service des opérations de maintien de la paix de l’ONU, avec l’approbation de son opinion publique.
L’Europe tenue à l’écart
Spécialiste de la Chine, le politologue Jean-Luc Domenach met l’accent sur les difficultés qui attendent ce pays dans l’avenir, en dépit de ses taux de croissance exceptionnels. Un pays qui vieillit, qui pratique des politiques sociales minimales et qui doit tenter de mettre en place une économie d’innovation. Quant au Japon, M. Domenach rappelle qu’il est le premier pays de la région à s’être ouvert à la modernité au point d’inspirer la Chine de l’après-Mao.
L’Asie d’aujourd’hui lui évoque l’Europe d’avant 1914, divisée par les nationalismes, alors même que la Chine, selon lui, a décidé de « passer à la vitesse supérieure » en renforçant sa « politique d’influence » et en cherchant à se donner les Etats-Unis pour seuls interlocuteurs, excluant le Japon, l’Inde et l’Europe. Ce qui peut l’exposer, dit-il, à de sérieuses déconvenues.