Chypre : un pas en arrière

Mauvaise nouvelle pour Chypre. Alors que progressent péniblement sur le chemin d’un accord les dirigeants des deux communautés grecque et turque qui vivent séparées depuis l’invasion de l’armée turque en 1974, les élections législatives dans la République turque de Chypre du Nord (RTCN) autoproclamée viennent de donner la victoire aux nationalistes. Le Parti turc républicain, la formation du président Mehmet Ali Talat, n’a obtenu que 29% des voix contre 44% au Parti de l’Union nationale de Devis Eroglu.

Depuis la victoire du chef du Parti communiste, Demetris Christofias, à l’élection présidentielle dans la République de Chypre (grecque), qui est membre de l’Union européenne, les négociations ont repris entre les deux communautés en vue d’une réunification de l’île. Mehmet Ali Talat et Demetris Christofias se connaissent bien pour avoir, naguère, milité ensemble dans les mouvements de gauche. Des accords sont sur le point d’être conclus sur les questions les moins controversées mais même sur les sujets sur lesquels les négociations ont buté depuis plus de trente ans, des progrès semblent possibles. Pour simplifier, les Chypriotes grecs veulent un Etat unitaire composé de deux communautés, tandis que les Chypriotes turcs veulent une confédération de deux Etats.

La victoire des nationalistes risque de compliquer les pourparlers. Certes, leurs porte-parole ont fait savoir qu’ils n’utiliseraient pas leur majorité au parlement de la RTCN pour s’opposer à la poursuite des négociations, mais ils maintiennent leur exigence de deux Etats, ce qui ne peut que conduire à l’échec.

Les Chypriotes n’ont pas de chance. En 2004, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, avait proposé un plan de réunification qui aurait permis à l’île toute entière d’entrer dans l’UE. Soucieux de faire partie de l’Europe, les Chypriotes turcs avaient adopté le plan Annan à une large majorité. Las, il avait été rejeté par les Chypriotes grecs, après une campagne aux accents très nationalistes conduite par le président d’alors, Tassos Papadopoulos. La déception avait été forte chez les Chypriotes turcs. Aujourd’hui, le ton est beaucoup plus conciliant dans la République de Chypre (grecque). Le président Christofias veille à combattre toute dérive nationaliste. C’est le moment choisi par une majorité de Chypriotes turcs pour se rallier à la droite. Même si les sondages montrent qu’ils ont voté plus pour des raisons économiques et sociales (le taux de chômage atteint 24% de la population active) que pour des raisons « nationales », le résultat est le même.

L’issue des négociations entre les deux dirigeants des deux parties de l’île dépend pour une large part de l’attitude de la Turquie, qui entretient encore quelque 30 000 soldats au Nord. Chypre est un enjeu dans les négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’UE. Si le gouvernement d’Ankara pense qu’une solution du problème chypriote pourrait faire progresser sa cause à Bruxelles, il poussera à un arrangement. S’il veut garder cette carte jusqu’à la fin des négociations, les Chypriotes, grecs et turcs, continueront de souffrir de la division, même si quelques allègements ont été déjà décidés. Et ce sont d’abord les Chypriotes turcs, privés d’Union européenne, qui sont les victimes de cette situation.