Comment Angela Merkel a changé d’avis

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Angela Merkel a fait ses comptes, financiers et politiques. Une sortie de la Grèce de l’euro lui coûterait plus cher que la présence de ce pays dispendieux et peu sérieux dans la monnaie unique. Elle l’avait laissé entendre mezzo voce pour continuer à maintenir la pression sur le gouvernement d’Athènes. Elle le dit maintenant publiquement. Et le signe le plus sûr de son revirement est le soutien discret qu’elle a apporté à la décision du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, de racheter des obligations des Etats européens en difficulté. Elle l’a fait contre l’avis d’une majorité de ses concitoyens, de la plupart des experts allemands, à quelques exceptions près, y compris du président de la Bundesbank. Elle l’a fait au nom de « l’indépendance » de la BCE qui est un principe sacré pour Berlin, même si la décision de Mario Draghi transgresse les règles de la BCE.

Angela Merkel est avant tout pragmatique. Elle a été convaincue par les partisans de la « théorie des dominos » : si la Grèce tombe, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, l’Irlande seront menacés et le coût pour le contribuable allemand sera très largement supérieur aux quelques milliards d’euros qu’il faut débourser pour maintenir la Grèce à flots. Une mutualisation des dettes honnie par les Allemands serait indispensable, sous une forme ou sous une autre. Le choix pour l’économie de la zone euro serait difficile à évaluer mais la chancelière craint une réaction en chaîne comme après la faillite de Lehman Brothers qui a coûté plusieurs points de PIB à l’Allemagne.

De plus, cette tempête économico-politique se produirait au plus mauvais moment pour Angela Merkel, en pleine campagne électorale pour le renouvellement du Bundestag, en septembre 2013.

La chancelière fait le pari que sa popularité personnelle, bien supérieure à celle de son parti et surtout à celle de ses concurrents potentiels dans la Parti social-démocrate, lui permettra d’emporter l’adhésion de ses concitoyens, alors que les trois-quarts d’entre eux souhaitent l’exclusion de la Grèce.

Sa réussite dépend en partie de la manière dont le gouvernement grec utilisera le délai supplémentaire qui lui sera accordé pour mettre de l’ordre dans ses finances et entamer les réformes indispensables. Angela Merkel attend le verdict de la « troïka » qui supervise au nom de la BCE, de la Commission de Bruxelles et du FMI, les efforts d’Athènes. Son rapport devrait être rendu en novembre. Ses membres seront fortement incités à prononcer, en toute indépendance, un jugement mesuré sur la situation grecque.

Mais la réussite du pari de la chancelière est aussi suspendue à l’attitude du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui est régulièrement appelé par des eurosceptiques à se prononcer sur la légalité des mécanismes européens. Angela Merkel peut espérer que les juges constitutionnels s’en tiendront à leur attitude traditionnelle : jusque là, mais pas plus loin sans légitimation démocratique.