Comment arrêter Poutine

Alors que le parlement de Crimée votait en faveur du rattachement de la péninsule à la Russie et annonçait un référendum pour le 16 mars, un Conseil européen extraordinaire réuni à Bruxelles, le jeudi 6 mars, décidait les premières sanctions contre Moscou. D’autres suivront si une « désescalade » ne se produit pas dans les prochains jours. Elles pourraient être aggravées si de nouvelles provocations russes ont lieu.

Vladimir Poutine a facilité la tâche des vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne réunis à Bruxelles. Ils étaient divisés – et ils le sont sans doute encore – sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie dans la crise ukrainienne. Les dirigeants venus de la « nouvelle Europe », les anciens Etats qui se sont libérés du communisme à la fin des années 1980, sont partisans d’une fermeté qui fait peur à leurs collègues de la « vieille Europe ». Les premiers savent par expérience ce dont les responsables du Kremlin, communistes ou non, sont capables. Les seconds continuent de penser que le dialogue peut ramener Vladimir Poutine à la raison. 

Une provocation

Alors que les Vingt-huit avaient à peine commencé leur réunion, ils apprenaient que le parlement de Crimée avait lancé le processus de sécession de la péninsule par rapport à Kiev, voire de son éventuel rattachement à la Russie. Cette annonce, qui n’avait pas pu être faite sans le consentement de Moscou, a été reçue comme une provocation. Et elle a poussé les chefs d’Etat et de gouvernement à se mettre d’accord. Sans doute certains auraient aimé que l’UE se montre plus dure et annonce dès maintenant une série de sanctions. Mais leurs décisions sont autant de signaux adressés aussi bien à Kiev qu’à Moscou.

Aux Ukrainiens, l’UE promet la signature dans les plus brefs délais des clauses politiques de l’accord d’association prévu par le partenariat oriental. C’est le refus de Viktor Ioukanovitch de signer cet accord à la fin de novembre 2012 à la suite des pressions russes qui a provoqué les manifestations de Maïdan et finalement la chute de son régime. Vis-à-vis de Poutine, le message est clair. Ni le nouveau gouvernement ukrainien ni les vingt-huit ne se laissent intimider. L’UE annonce une aide économique et financière de plus de 10 milliards d’euros. Au moment des préparatifs de la signature de l’accord, elle avait dit ne pas pouvoir aller au-delà de 600 millions. Poutine avait sauté dans la brèche et mis 12 milliards sur la table. Et pour bien montrer que l’UE ne recule pas, les Européens confirment qu’ils signeront l’accord d’association avec la Moldavie et la Géorgie, deux ex-républiques soviétiques sur lesquelles Moscou exerce aussi un chantage.

Des sanctions « graduées »

« La Russie a contribué à accroitre la tension », a déclaré François Hollande, en référence à la décision du parlement de Crimée que Poutine se propose « d’examiner ». Le président de la République comme ses collègues européens ont réaffirmé leur attachement à « la souveraineté, c’est-à-dire l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». D’où les premières décisions : suspension des discussions sur l’assouplissement des visas, sur l’accord commercial UE-Russie et des préparatifs du sommet du G8 qui doit avoir lieu à Sotchi en juin.

Dans un deuxième temps, s’il n’y a pas de « désescalade », c’est-à-dire de négociations entre les Occidentaux, l’Ukraine et la Russie, par exemple au sein d’un « groupe de contact », une autre salve de sanctions est en préparation : restrictions des déplacements de certains dirigeants russes, gel de leurs avoirs en Europe… Enfin des mesures sont envisagées pour le cas où la Russie avancerait d’autres pions en Ukraine, notamment dans l’est du pays, comme la suspension de la coopération économique.

Cette « gradation » laisse la place à la poursuite du dialogue amorcé mercredi 5 mars à Paris et poursuivi, sans résultat, à Rome, le lendemain, et à d’éventuelles négociations. Mais elle prépare aussi le terrain à un bras de fer, en fonction de l’attitude de Moscou.

Les objectifs de Poutine

Il n’est pas facile de connaître les véritables objectifs de Vladimir Poutine. Pendant sa conférence de presse du mardi 4 mars – sa seule expression publique depuis le début de la crise –, il a dit tout et son contraire. Il a sans doute abandonné l’espoir d’attirer l’Ukraine dans son Union eurasienne, avec la Biélorussie et le Kazakhstan, sous la tutelle de la Russie. Toutefois, avec la Crimée, il a pris un gage grâce auquel il entend maintenir une pression permanente sur les gouvernants de Kiev. Peu importe quel sera le statut final de la Crimée : autonomie accrue, indépendance ou retour dans la Fédération de Russie.

S’arrêtera-t-il là ? Le scénario mis en place en Crimée, à savoir une intervention sous prétexte de répondre à un appel de Russes ou de russophones, peut se répéter dans les régions de l’est de l’Ukraine. Il n’est pas sûr que Poutine veuille risquer une épreuve de force. Cependant il a mis tout en place au ca où… Il a obtenu du Conseil de la Fédération l’autorisation d’intervenir militairement en Ukraine. « Ce n’est pas nécessaire… pour le moment », a-t-il dit. D’autre part, le même Conseil est sur le point d’adopter une loi qui facilitera l’annexion de territoires appartenant à des Etats étrangers où se trouve une minorité d’origine russe. Pendant ce temps, le Premier ministre Dmitri Medvedev annonce que la naturalisation de russophone venus d’autres Etats sera désormais facilitée.

Tout est donc prêt pour un possible démantèlement des Etats voisins même si le passage à l’acte n’est pas certain. La question est de savoir si les sanctions dont l’UE européenne menace Vladimir Poutine, suffiront à le dissuader de passer à la prochaine étape.