Comment la Russie s’est replacée au centre du jeu

Moscou propose d’organiser une conférence internationale pour régler le conflit syrien. Les Russes ne veulent pas laisser tomber leur allié Bachar el-Assad avant d’être sûrs que leurs intérêts seront protégés.

Depuis plus d’un an que durent les affrontements entre le régime syrien et ses opposants, la Russie bloque tout effort des Nations unies pour mettre fin au conflit. Avec la Chine qui dans cette affaire observe une attitude suiviste, elle s’est opposée à toutes les sanctions les plus dures et laissé les Occidentaux exercer seuls une pression concrète sur le régime de Bachar el-Assad. Elle a opté pour des initiatives diplomatiques plus discrètes qui jusqu’à maintenant n’ont eu guère d’effet sur leur allié. Cependant, grâce à ce double jeu d’opposition au Conseil de sécurité et d’action auprès de Bachar el-Assad, elle est redevenue un acteur essentiel. Pendant des années, elle a bataillé pour retrouver son rang sur la scène internationale. Après la période brouillonne de la diplomatie Eltsine, Vladimir Poutine a tenté de restaurer l’influence de son pays en usant de son pouvoir de nuisance. Le conflit syrien lui donne l’occasion de redevenir un interlocuteur indispensable dans la recherche d’une solution.

Les Occidentaux paraissent en effet impuissants. Les sanctions qu’ils appliquent unilatéralement ne sont pas sans conséquences sur l’économie syrienne, ni de manière plus directe sur le statut du clan au pouvoir à Damas, mais elles ne sauraient à elles seules aboutir au départ du dictateur qu’ils appellent de leurs vœux. La menace de déférer les dirigeants syriens devant la Cour pénale internationale est à double tranchant : elle peut les dissuader de continuer à ordonner ou couvrir des exactions contre les populations civiles considérées comme des crimes contre l’humanité, mais si le seul avenir qui leur est promis est de finir leurs jours dans une prison, il est peu probable qu’ils quittent volontairement le pouvoir.

Pour le moment, les Occidentaux ont exclu une intervention militaire en Syrie. Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, vient encore de le répéter. La Syrie n’est pas la Libye, rappelle-t-on. Il suffit de dire que toute action de force devrait être légitimée par une résolution du Conseil de sécurité pour écarter du même coup cette hypothèse puisqu’un veto russe (et chinois) est une certitude. Echaudés par l’interprétation que les Occidentaux ont donnée de la résolution 1973 sur la Libye qu’ils ont laissé passer par leur abstention, Russes et Chinois jurent qu’on ne les y reprendra plus.

Reste donc la négociation. Et toute négociation passe par Moscou, comme le démontrent à la fois le plan Annan et son échec. La Russie n’était pas opposée à la mission de l’ancien secrétaire général de l’ONU. C’était une manière de gagner du temps, de donner un sursis à Bachar el-Assad et de calmer les ardeurs des Occidentaux.

La diplomatie russe a-t-elle mis tout en œuvre pour que ce plan réussisse ? Difficile de dire si le Kremlin n’a pas mis tout son poids en faveur de la mission de Kofi Annan ou si son influence sur le régime de Damas n’est pas aussi grande qu’il voudrait le laisser croire.

Toujours est-il que l’enjeu est d’importance pour la Russie. La Syrie est sa seule alliée dans le monde arabe. Une de ses meilleures clientes pour les exportations d’armes. Une base pour sa flotte en Méditerranée. Les Russes savent que le statu quo est impossible. En collant de trop près au régime Assad, ils courent le risque de perdre leurs positions dans le pays en cas de défaite de leur protégé. Mais ils craignent en même temps que tout changement de pouvoir ne menace leurs intérêts. Leur objectif est donc de ménager une transition entre le système actuel - avec ou sans Bachar el-Assad qu’ils ne défendent plus personnellement - et un régime acceptable par l’opposition syrienne mais bien disposé à l’égard des intérêts russes.

Moscou pourrait organiser une conférence internationale avec la participation des voisins de la Syrie, dont l’Iran et Israël, pour trouver une solution qui aurait un large soutien international. Cette conférence serait un substitut ou une concurrente à la conférence des « amis de la Syrie » que la France veut réunir début juillet à Paris. Les « amis de la Syrie » se sont réunis à plusieurs reprises depuis un an, en présence de l’opposition syrienne, des pays arabes mais en l’absence de la Russie et de la Chine. Jusqu’à maintenant, ces réunions des « amis de la Syrie » n’ont abouti à aucun résultat, même pas à une structuration sérieuse de l’opposition.

En attendant, les massacres continuent en Syrie, comme si le régime voulait non seulement dissuader les opposants, mais lancer des avertissements quant aux vengeances sectaires qui attendent le pays en cas d’effondrement total du régime.