„America is back“ – l’Amérique est de retour. Ce slogan du président Joe Biden a été bien accueilli par les amis des Etats-Unis pendant la semaine des sommets de la mi-juin – celui du G7 en Cornouailles d‘abord, puis celui de l’Otan et la rencontre Union européenne-Etats-Unis à Bruxelles ensuite. Peut-être moins au sommet Biden-Poutine à Genève à la fin. Le premier voyage à l’étranger du nouveau président américain a bien rassuré les alliés. Il leur a permis de laisser derrière eux la phase des humiliations et des insultes cultivées à la Maison Blanche au temps de Donald Trump. C‘est du passé. Mais au–delà du soulagement qu’expriment tous les „atlantistes“, tous ceux qui adhèrent à la communauté de valeurs des démocraties occidentales des deux côtés de l’Atlantique, il y a besoin de ne pas perdre de vue les défis devant lesquels se trouvent Européens et Américains et pour lesquels ils ne trouvent pas toujours les mêmes réponses. Les sommets en témoignent.
La pandémie du covid-19, qui n’est pas encore finie, a eu des effets néfastes non seulement sur les systèmes sanitaires de tous les pays, mais aussi sur leurs systèmes sociaux et économiques. D’énormes sommes d’argent ont été et vont être mises à disposition pour les prestations médicales et sociales jugées nécessaires afin de protéger les populations contre le virus et de reconstruire les économies endommagées par les fermetures d’entreprises et les confinements des personnes ordonnés par les autorités publiques. En même temps, la gestion de la crise climatique demande encore davantage d‘efforts et d’argent – et tout cela vite. Par conséquent, tout le système économique mondialisé, en difficulté déjà bien avant la crise sanitaire, est mis rudement à l’épreuve.
Réparer les dégâts
C’est le grand défi devant lequel se trouvaient les acteurs du G7 et de la rencontre entre l’Union européenne et les Etats-Unis. La stratégie du chacun pour soi, de l‘“America first“ et des guerres commerciales adoptée par Donald Trump dès son entrée en fonction en 2017 pour obtenir le meilleur „deal“ en faveur des Etats-Unis était une grande erreur, évidemment, et elle n’a pas réussi. Joe Biden est venu pour réparer les dégâts. Néanmoins, des divergences d’intérêts économiques entre Américains et Européens persistent et ont été le sujet des différents sommets. Tous les gouvernements concernés, mais avant tout l’administration Biden, se trouvent sous d’énormes pressions pour démontrer à leurs citoyens (et électeurs) leur capacité à organiser la sortie de leur pays de la crise, le bon usage de tout l’argent dépensé et le retour à une société plus cohérente, moins divisée. Joe Biden, avec une majorité réduite à la Chambre des représentants et une majorité extrêmement courte au Sénat, n’a plus qu’un an, au maximum, pour réussir son pari, avant que les électeurs ne l‘obligent, en 2022, à faire „stop“ ou ne lui permettent de continuer son chemin. Son plus grand souci était donc de rassurer et de rassembler les alliés pour qu’ils le soutiennent dans une phase cruciale pour sa présidence.
Par conséquent, de belles formules d’engagement ont été trouvées. Il n’y a plus de menaces de sanctions et de contre-sanctions, mais des confirmations de bonne volonté. Tous les problèmes ne sont pourtant pas encore réglés, des efforts supplémentaires doivent encore être faits, dans le respect des marges de manœuvre de part et d’autre, qui ne sont pas sans limites. L’offensive de charme de Joe Biden auprès de ses amis n’était pas seulement un effort apprécié des Européens (ainsi que des Canadiens et des Japonais) pour réparer les dégâts causés par son prédécesseur, c’était aussi et surtout un effort du président américain pour obtenir leur soutien à son agenda intérieur. Les Européens, qui ont tout intérêt à ce que cette administration américaine réussisse, doivent se rappeler que Joe Biden n’est pas venu pour leur faire plaisir, il est venu pour en finir avec l’isolement de la première puissance occidentale.
Le cas chinois
Un des dossiers les plus importants était celui de la Chine. Il a été présent dans toutes les conférences et réunions des leaders occidentaux, en Cornouailles comme à Bruxelles, dans le contexte économique (G7 et UE) comme dans celui de la sécurité et de la défense (Otan). Pour les Etats-Unis, la Chine est devenue de loin l’adversaire le plus sérieux à tous les niveaux – au niveau commercial comme au niveau technologique, au niveau de l’ambition du leadership mondial comme au niveau militaire.
La Chine, c’est le rival „systémique“ à tous les égards. „Nous sommes arrivés à un point“, dit Joe Biden dans une interview récente, „où le reste du monde commence à s’orienter vers la Chine.“ Et non plus – ce qu’il ne dit pas - vers les Etats-Unis ou vers l’Ouest, qui ont établi depuis 1945 les règles du droit et du commerce internationaux. L’ambition de la Chine, c’est de mettre fin à la suprématie occidentale dans le monde et par là d‘en finir avec un leadership américain que Joe Biden réclame aussi bien que tous ses prédécesseurs.
C’est dans cette compétition globale que Joe Biden demande à ses alliés d’être à ses côtés, comme l’avait fait Donald Trump. Mais c’est dans cette compétition globale que les alliés européens ont cessé se ranger facilement derrière le „leader du monde libre“. La compétition globale avec la Chine, ce n’est pas „le monde libre“ capitaliste contre „le monde communiste“ de l’époque de la guerre froide. Le Parti communiste au pouvoir en Chine joue parfaitement bien le jeu du capitalisme d’Etat et son économie est bien intégrée au marché mondial, pas toujours selon les règles instaurées par les Occidentaux, mais au point où même les économies occidentales les plus performantes ne peuvent plus se passer de l’économie chinoise.
Il n’y a donc pas seulement compétition „systémique“ entre l’Ouest démocratique et la Chine dite communiste, mais surtout autoritaire et anti-démocratique, en violation flagrante et systématique des droits de l’homme. Il y a aussi compétition économique parmi les Occidentaux, entre les intérêts particuliers des uns et des autres concernant la Chine, leurs dépendances envers les marchés et les fournisseurs essentiels chinois, envers les fournisseurs de capitaux de Pékin aussi. Bref, le dossier „Chine“ risque autant de diviser l’alliance qu’il ne présente un défi commun à toute l’alliance. L’appel de Joe Biden à ses alliés de le suivre dans ce combat est fort et clair. „America is back“, cela veut dire aussi : „America is back to lead“. Pour les Européens, Trump ne peut plus servir d’excuse pour ignorer les appels de Washington. La réponse des alliés, qui ne doit pas être de suivre simplement des ordres de marche, sera suivie attentivement dans les couloirs du pouvoir à Washington. Le dossier „Chine“ est arrivé au top de l’agenda américain, ce qui n’est pas le cas pour les Européens. Les succès des sommets ne l’ont pas caché.
La menace russe
Le président Emmanuel Macron, par exemple, fait partie de ceux qui s’opposent. Sans nier les défis présentés par les ambitions de la Chine, il soutient que l’alliance doit continuer à considérer le terrorisme islamiste comme une menace majeure. „Sur ma carte,“ dit-il, „la Chine n’appartient pas à l’espace atlantique, mais sur ma carte, il y a peut-être aussi un problème.“ Le même argument vaut pour des alliés comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou même la Turquie qui regardent plutôt, comme la France, vers l’Afrique du Nord ou le Moyen Orient ; ou bien le Canada, la Norvège et le Danemark, pour qui l’Arctique devient un souci, où la Russie a commencé à démontrer ses ambitions militaires ; ou plus encore pour les alliés de l’Est comme les républiques baltes, la Pologne ou la Roumanie, pour qui la Russie demeure la menace principale à leur sécurité.
Le dossier „Russie“, donc, revêt aussi une importance particulière, car ici les perceptions stratégiques des Américains et des Européens continuent à diverger. Pour Washington, face au rival principal à Pékin, le tsar de Moscou ne représente qu’un pouvoir qui peut nuire à la stabilité en Europe. Joe Biden sait que pour revenir à un système global de contrôle en matière d’armement nucléaire, il doit et il peut négocier avec Vladimir Poutine, qui dispose d’une force nucléaire égale à celles des Etats-Unis. Mais pour le reste ? La Russie n’est qu‘une puissance économique à la taille de l’Espagne. Pour beaucoup d’Européens par contre, surtout ceux de l’ancien empire soviétique, Moscou représente, indépendamment de ses capacités nucléaires, une menace réelle, la plus sérieuse. Et pour d’autres, la sécurité régionale en Europe ne peut être garantie sans la coopération avec la Russie. Sous quelles conditions ? C’est la question clé que les sommets ont laissée ouverte et à laquelle le sommet Biden-Poutine n’a pas donné de réponse non plus.
Le G 7, l’Union européenne, l’Otan – les amis des Etats-Unis peuvent se féliciter du retour de leur grand allié dans le solide réseau transatlantique qu’ils ont bâti et maintenu ensemble depuis si longtemps. Son tour européen en est une manifestation puissante. En même temps, ce tour révèle la multitude des défis auxquels les Occidentaux sont confrontés ensemble. Aux Européens de définir leur place et leur rôle dans cette phase nouvelle – et démontrer aux Américains ce qu’est le charme de l’Europe.
Detlef Puhl