Comment réveiller la belle endormie

L’essayiste Laurent Cohen-Tanugi souhaite que l’Union européenne pèse davantage dans un monde marqué par l’émergence de « continents-nations ». Il l’invite à se réformer pour tenir sa place dans la mondialisation. Cela suppose, selon lui, qu’elle prenne enfin le tournant de l’Europe fédérale.

Fédéraliste il est, fédéraliste il demeure. Laurent Cohen-Tanugi, avocat et essayiste, n’hésite pas à braver les tabous en plaidant résolument pour une Europe fédérale. Certes il ne croit pas aux Etats-Unis d’Europe, expression traditionnelle du vieux rêve fédéraliste,qui faisait fi de l’histoire des Etats européens, mais il défend l’idée d’une Fédération des Etats-nations, lancée naguère par Jacques Delors, qui passe, selon lui, par un accroissement des compétences transférées aux institutions européennes. Il s’agit, affirme-t-il, de trouver le « bon équilibre » entre ce qui restera national et ce qui deviendra communautaire. Cet équilibre est loin d’être atteint, selon lui, ce qui explique les faiblesses de l’Europe actuelle.

Dans son dernier essai, dont le titre, Quand l’Europe s’éveillera, rappelle à dessein celui du best-seller d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, Laurent Cohen-Tanugi invite les Européens à sortir de leur sommeil en franchissant une nouvelle étape sur la voie du fédéralisme. C’est, dit-il, le seul moyen pour l’Europe de tenir enfin sa place dans un monde globalisé. Depuis la fin de la guerre froide, assure-t-il, la construction européenne s’est essoufflée. Elle a perdu son dynamisme au moment même où, autour d’elle, le monde changeait à grande vitesse. Pour « rester dans la course », elle doit se donner un statut de grande puissance capable de peser face aux « nations-continents ».

Un saut qualitatif dans la dynamique européenne

« L’Europe ne sera jamais une nation, soutient l’auteur, mais elle doit ressembler de plus en plus à une grande puissance ». Dans son livre, il précise : « Faire de l’Europe une puissance dans la mondialisation est un défi considérable, exigeant un saut qualitatif dans la dynamique européenne, qui ne saurait résulter que d’un sursaut collectif initiée au plus haut niveau ». Ce sursaut, l’auteur l’attend d’abord des dirigeants des Etats européens, qui ont choisi, au lendemain du traité de Maastricht, adopté de justesse en France par référendum, de « reprendre le contrôle de la construction européenne » et de « mettre au pas les institutions communautaires ». Leur « responsabilité historique » est aujourd’hui de relancer l’intégration de l’Europe.

A ce changement de comportement doit s’ajouter la volonté de « favoriser l’émergence d’une véritable vie politique européenne », qui suppose notamment la « constitution progressive d’un vivier de personnalités dotées d’une compétence et d’une stature européennes » et, le cas échéant, l’organisation de référendums européens plutôt que de référendums nationaux. « Un tournant symbolique sera enfin franchi, déclare Laurent Cohen-Tanugi, le jour où un dirigeant politique jugera plus important de devenir président du Conseil européen que président de la République française ou chancelier allemand ». Telles sont les conditions, selon l’auteur, pour « faire émerger une grande Europe fédérale ».

Atermoiements et divisions

On objectera qu’après tout l’Europe n’a pas trop mal réagi à la crise économique et que la coordination des politiques nationales, embryon d’une gouvernance économique commune a progressé, à cette occasion, d’une manière spectaculaire. Sans doute, répond Laurent Cohen-Tanugi, mais cela ne suffit pas. Pour lui, la performance européenne dans la crise mondiale reste « mitigée ». L’Europe a « évité le pire », mais elle a toujours agi « au bord du gouffre », sans unité véritable, au prix « d’une longue période d’atermoiements et de divisions ».

La faute en revient, selon l’auteur, à la méthode intergouvernementale, qui ne permettra pas à l’Europe de sortir de l’impasse. Ce n’est pas un hasard, souligne-t-il, si les seuls domaines dans lesquels l’Union européenne exerce un pouvoir réel sont ceux qui sont gérés d’une manière fédérale : la monnaie, le commerce extérieur, la politique de concurrence. Pour Laurent Cohen-Tanugi, les opinions publiques sont conscientes qu’on est entré dans un monde nouveau dans lequel il y a un déficit d’Europe. « Sans doute est-il grand temps de revenir aux grands principes de la construction européenne, conclut-il, à savoir que l’intérêt commun prime sur les intérêts nationaux ».

 

L’entretien avec Laurent Cohen-Tanugi a été diffusé samedi 16 avril dans l’émission Parcours européen sur la radio Fréquence protestante (FM 100.7). Il peut être écouté dans sa version intégrale sur le site www.frequenceprotestante.com (cliquer sur Programmes puis sur la date du 16 avril). Le dernier livre de Laurent Cohen-Tanugi, Quand l’Europe s’éveillera, est publié aux éditions Grasset.