Congo : non-assistance à peuple en danger

La Belgique et la France, dont le passé rend délicate une intervention dans la région des Grands lacs, n’ont pas convaincu leurs partenaires de l’UE de monter une opération pour épauler la mission de l’ONU dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). L’envoi de 3 000 casques bleus supplémentaires – en plus des 17 000 déjà présents – a été décidé par le Conseil de sécurité de l’ONU, mais ils n’arriveront pas avant plusieurs mois, les pays contributeurs de troupes n’ayant pas encore été trouvés. Article publié le 3 décembre 2008 sur le blog de Colette Braeckmann, envoyée spéciale du quotidien Le Soir de Bruxelles au Congo. http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/ 

« Il s’agît de non assistance à un peuple en danger.. . Nous ne comprenons pas les raisons d’une telle indifférence… » Lambert Mende, porte parole du gouvernement congolais, a réagi avec amertume à la non-décision européenne, aucun pays ne s’étant montré décidé à participer à une force intérimaire qui aurait provisoirement renforcé la Mission des Nations unies au Nord Kivu.
Pour le Ministre de l’information, le refus européen est d’autant plus choquant que, du point de vue congolais, l’Europe a une responsabilité dans les malheurs du Kivu : « voici 14 ans, au lendemain du génocide rwandais, c’est l’Occident, dont les pays européens, qui ont pratiquement contraint le Zaïre de l’époque à accueillir sur son territoire deux millions de réfugiés hutus. Les autorités de l’époque étaient réticentes, mais des raisons humanitaires ont été évoquées, et elles ont cédé car il s’agissait de sauver des vies humaines… Aujourd’hui, le Congo est laissé seul face à ce problème, alors qu’il n’en est pas responsable. Nous avons le sentiment d’être lâchés. »
M. Mende fait ainsi allusion aux groupes armés hutus qui se sont installés dans les deux Kivu depuis 1994. Alors que la grande majorité des réfugiés civils a regagné le Rwanda sans encombre, quelque 10.000 combattants endurcis, militaires de l’ancienne armée rwandaise et miliciens Interhahamwe, rejoints par des jeunes gens qui ont grandi en exil et cultivent la même haine à l’encontre du Rwanda, se trouvent toujours en territoire congolais. Là, ils terrorisent les populations locales, et en particulier les femmes victimes de violences sexuelles, exploitent les mines (et envoient leur production à Kinshasa mais surtout…au Rwanda) et, de façon ponctuelle, collaborent avec des unités de l’armée congolaise lors des combats contre le rebelle tutsi Laurent Nkunda.

Ce dernier justifie son action militaire par la présence de ces FDLR (Front démocratique pour la libération du Rwanda). Mais les motivations du chef rebelle dépassent aujourd’hui cet enjeu local (…).
Si la Belgique était prête à envoyer des militaires au Congo, elle exigeait cependant qu’un « grand pays » de l’Union prenne le leadership de l’opération, et tous les candidats pressentis se sont désisté. Pour la France, exercer le commandement d’une telle force est pratiquement impossible, en raison de son passé dans la région (c’est l’Opération Turquoise qui avait convoyé les Hutus vers le Congo…), en raison aussi de divisions entre le Quai d’Orsay où Bernard Kouchner soutenait l’idée d’une intervention (avant de l’abandonner après une visite à Kigali…) tandis que le ministre de la Défense Hervé Morin se montrait beaucoup plus réticent à engager des troupes déjà sollicitées sur d’autres terrains, Irak, Afghanistan, Tchad…
Ces objections pratiques sont partagées par d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, tandis que l’Allemagne et les Pays Bas ont purement et simplement décliné l’invitation à se porter au secours du Kivu.

Faut-il ajouter que la diplomatie rwandaise, relayant l’hostilité de Laurent Nkunda à un tel déploiement européen, n’est probablement pas restée inactive, ce qui tranche avec la relative passivité des Congolais eux-mêmes.
C’est la Monuc qui bénéficiera indirectement de la défection européenne : les Belges n’enverront probablement pas de troupes sous commandement onusien, mais sont prêts à fournir moyens logistiques et de renseignement (les drones, avions espions sans pilote, feraient merveille au dessus de la frontière). Par ailleurs, alors que les Occidentaux exercent de fortes pressions sur l’Angola pour dissuader ce pays d’intervenir au Congo car ils redoutent une « internationalisation » du conflit, des généraux des pays membres de la SADC (Conférence des Etats d’Afrique australe) se trouvent en ce moment à Kinshasa, après avoir passé plusieurs jours au Kivu et ils débattent des possibilités d’action. Etant donné l’impuissance dont ils viennent de faire preuve, on voit mal au nom de quoi les Européens pourraient désormais dissuader les voisins et alliés du Congo de rechercher une « solution africaine » à la crise…