Contre le « califat », une coalition nécessaire mais précaire

C’est en marge du sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à Newport, au Pays de Galles, que Barack Obama a forgé les premiers éléments d’une coalition destinée à combattre l’Etat islamique (EI) qui veut établir ce qu’il appelle le « califat » en Syrie et en Irak. L’organisation atlantique, à elle seule, ne peut pas faire l’affaire. D’abord, elle est absorbée par sa nouvelle tâche, qui est en fait son rôle traditionnel, à savoir la défense de ses membres et de leur intégrité territoriale. Certains d’entre eux, ceux que la géographie a placés à la frontière de la Russie, ont, depuis la crise en Ukraine, retrouvé une peur qui avait disparu en Europe occidentale.
Ensuite, la lutte contre l’EI ne doit pas apparaître comme une entreprise purement occidentale. Certes, pour l’instant, la coalition esquissée à Newport ne comprend que des Etats occidentaux : neuf membres de l’OTAN, dont, il est vrai, la Turquie qui est un pays à majorité musulmane, plus l’Australie. Mais elle a vocation à s’élargir à des Etats du Moyen-Orient. La Jordanie, dont le roi Abdallah était présent au Pays de Galles, est déjà sur les rangs. L’Arabie saoudite devrait se joindre à elle, ainsi que les Emirats arabes unis.
Si cette coalition « ad hoc » ou « coalition des volontés » se constitue, elle montrera que la lutte contre Da’ech, le nom arabe de l’EI, ne se joue pas entre l’Occident et l’islam, ou à l’intérieur du monde musulman, entre les sunnites et les chiites. On se retrouverait alors dans une constellation proche de la coalition qui s’était formée en 1990, lors de la deuxième guerre d’Irak – la guerre Iran-Irak comptant pour la première —, quand Saddam Hussein a envahi le Koweït. Cette fois, c’est l’Irak qui est envahi.
En 1990, George Bush père avait reçu l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour libérer le Koweït.Il avait bénéficié de la neutralité bienveillante de Mikhaïl Gorbatchev. La coalition anti-EI aura-t-elle aussi la bénédiction de l’organisation internationale ? La réponse dépend de l’attitude la Russie. Celle-ci connaît très bien les menaces que l’EI a proférées à son égard. Elle-même a souffert du terrorisme et en subi encore les effets dans le Caucase du nord, bien que la guerre civile au Daghestan n’ait que des rapports très lointains avec Da’ech. Mais les Russes peuvent-ils coordonner leurs forces avec les Américains et les Européens alors qu’ils les dénoncent tous les jours comme les responsables du conflit en Ukraine ? Pour le moment, la réponse est négative. Les porte-parole de Vladimir Poutine affirment même que l’EI est une création occidentale pour déstabiliser les alliés de Moscou. Ils ajoutent que les « provocations » occidentales à propos de l’Ukraine mettent en péril la coopération dans le renseignement antiterroriste. On remarque toutefois que le différend sur l’Ukraine n’a pas eu, jusqu’à maintenant, de conséquences sur les autres dossiers internationaux, notamment la négociation sur le nucléaire iranien.
L’Iran est justement un autre Etat qui ne se prive pas de dénoncer la politique américaine mais qui en Irak a les mêmes intérêts que les Etats-Unis. Ces intérêts peuvent-ils déboucher sur des actions coordonnées, sinon communes ? L’ayatollah Khamenei s’en défend mais les forces modérées à Téhéran y voient un moyen de débloquer la négociation nucléaire et de permettre à l‘Iran de retrouver un rôle régional.
Reste la Syrie. Barack Obama, comme d’ailleurs François Hollande, a déclaré qu’il n’était pas question de laisser Bachar el-Assad profiter de la situation pour se refaire une légitimité. Les Etats-Unis comme la France ont choisi au contraire de renforcer les opposants modérés de l’Armée syrienne libre (ASL) pour lui donner la possibilité de combattre sur deux fronts, contre le régime de Damas et contre les djihadistes. Il n’est pas sûr que cela suffise à l’ASL pour regagner le terrain perdu au cours des derniers mois.
Une certitude : les bombardements américains peuvent obliger les combattants de l’EI à reculer. Ils ne peuvent remplacer une réponse politique à la violence des radicaux islamistes. Cette réponse doit venir d’abord des pays de la région.