Stress test pour la gouvernance européenne
Les dix-huit mois qui viennent de s‘écouler, sous les présidences espagnole, belge et hongroise de l’Union européenne (UE), ont violemment secoué l’UE. À la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne et au besoin de relancer les économies européennes se sont ajoutées la crise de l’euro et, récemment, la remise en cause de l’espace Schengen, qui portent atteinte à deux réalisations essentielles de l’UE -. Autant de turbulences qui ont fait subir à la gouvernance européenne des stress tests sans précédents et qui ont mis à rude épreuve la détermination des Européens à maintenir leur cohésion.
Le système de prise de décision communautaire a sans aucun doute démontré une capacité de réaction inédite par le nombre et surtout l’ampleur des initiatives prises en moins d’un an, entre le printemps 2010 et le printemps 2011, en matière de gouvernance économique (surveillance budgétaire mais aussi macroéconomique et macrofinancière). Les Européens ont inventé des mécanismes de gestion et de résolution des crises qui n’existaient pas avant la crise de la dette souveraine.
Néanmoins, l’avenir pourrait bien s’avérer tout aussi éprouvant. Il faudra attendre le printemps 2012 pour déterminer si des initiatives telles que celle du semestre européen, du Pacte « euro-plus » et de la réforme du pacte de stabilité et de croissance sont des outils de coordination efficaces. Il est donc encore trop tôt pour une évaluation fine de cette gestion de crise et pour déterminer si la succession de crises du tournant de la décennie contribuera à provoquer un sursaut fédéral au sein de l’UE ou bien si celle-ci restera durablement fragilisée et risque même de connaître un recul par rapport aux acquis actuel de l’intégration. La question de savoir si les mesures prises ont renforcé la confiance réciproque des Européens reste ouverte.
Mais compte tenu de l’impact croissant du contexte international sur les politiques internes de l’UE, il semble prudent d’affirmer que les Européens doivent se préparer à réitérer ce type de gestion de crise. De plus en plus, des événements imprévus obligeront les États membres à collaborer – et le débat sur l’espace Schengen, provoqué par l’afflux de migrants nord-africains sur les côtes européennes, n’en est que le dernier exemple en date.
Que reste-t-il à la présidence tournante ?
Les nouvelles relations de pouvoir issues des réformes de Lisbonne et de la hausse du nombre de codécisions impliquant le Parlement européen – dans des domaines politiques toujours plus sensibles – risquent de générer une plus grande complexité et d’introduire de nouvelles tensions dans le système politique de l’UE.
Le rôle politique des présidences tournantes a été limité pendant la crise financière et, depuis lors, elles n’ont pas eu à traiter les dossiers les plus délicats. Cependant, le « leadership administratif » du Trio, garant de la réussite des négociations législatives, a été déterminant. Les différentes responsabilités qui incombent à la présidence tournante – comme la présidence des différentes formations du Conseil de l’UE, des commissions et des réunions des groupes de travail (à l’exception du Conseil Affaires étrangères et des commissions en charge des affaires étrangères, présidées par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) et l’organisation, en coulisses, des procédures législatives – continueront d’occuper une fonction essentielle dans le fonctionnement de l’UE.
Bien que le Trio des présidences polonaise, danoise et chypriote (juillet 2011 — décembre 2012) puissent déterminer certaines priorités de l’agenda communautaire des dix-huit prochains mois, il n’en reste pas moins un décideur parmi d’autres. Par la force des choses, le contexte de crise a imposé certaines priorités, laissant moins de marge de manoeuvre au Trio des présidences pour promouvoir des priorités qui seraient liées à leurs propres intérêts. Cependant, on notera qu’après le lancement par la présidence française de l’Union pour la Méditerranée et l’inauguration sous la présidence suédoise de la Stratégie communautaire pour la mer Baltique, la présidence hongroise est parvenue à mettre en oeuvre son projet de développement durable et de protection de l’environnement dans la macro-région du Danube – baptisée la Stratégie pour la région du Danube. Jusqu’à présent la constitution d’un Trio de présidences n’a pas apporté les gains escomptés. Une coopération plus étroite permettrait cependant de renforcer leur capacité à faire évoluer l’agenda communautaire et à dégager des consensus au cours des négociations que mènent les États membres. C’est à ce dessein que le terme de « Trio des présidences » est fréquemment employé dans ce rapport.
Alors qu’elle occupait une fonction centrale dans le paysage institutionnel de l’UE, la présidence tournante est désormais largement contrebalancée par la Présidence permanente du Conseil européen. Si la présidence tournante veut renforcer sa visibilité et son influence, elle devra utiliser le Traité de Lisbonne à son avantage. Le rôle du Conseil Affaires générales (CAG) pourrait être renforcé, notamment en canalisant politiquement les travaux des formations du Conseil de l’UE et dans certains cas en faisant remonter certains enjeux du niveau du Conseil à celui du Conseil européen. Si le premier ministre de la présidence tournante assurait la présidence du CAG, ce dernier s’en trouverait également renforcé, sans qu’il soit nécessaire d’amender les traités. Le Trio des présidences devrait enfin veiller à unir ses forces avec les États membres les plus influents, qui bénéficient d’un accès direct au Président du Conseil européen.
Par ailleurs, si elle entend définir les priorités politiques de l’Union, la Commission européenne devra elle aussi faire preuve de plus de détermination. D’un côté, cette évolution pourrait réduire un peu plus encore la marge de manoeuvre du Trio ; mais d’un autre côté, si le Trio des présidences et la Commission parviennent à s’accorder sur les priorités de l’agenda politique, leur alliance serait constructive.
En ce qui concerne le Parlement européen (PE), l’implication du Trio des présidences ne doit pas se limiter aux travaux législatifs quotidiens. Compte tenu de sa volonté de consolider son rôle politique dans la gouvernance économique, le Parlement européen pourrait être un forum politique stratégique pour le Trio des présidences. En tout état de cause, le Parlement est aujourd’hui un acteur incontournable et influent, comme en attestent quatre des mesures qui forment le paquet législatif du commissaire Olli Rehn, mais aussi la future législation relative au marché unique. Le Parlement européen cherchera lui aussi à accroître son influence de manière informelle dès que les nouveaux mécanismes de coordination de la politique économique seront mis en place. Le Trio des présidences devrait par conséquent endosser un rôle d’intermédiaire impartial non seulement entre les membres du Conseil de l’UE, mais aussi entre ce dernier et le Parlement européen. Si le Trio des présidences ne peut assumer ce rôle, le système institutionnel risque d’être déséquilibré – compte tenu de la place centrale prise par le Conseil européen.
Enfin, de bonnes relations de travail entre la présidence tournante, la Commission européenne et le Parlement européen permettraient également de remplacer les compromis interinstitutionnels précoces sur les sujets soumis à la codécision. En outre, elles permettraient de mieux anticiper au niveau national l’impact politique et juridique de l’extension de la méthode communautaire à des sujets politiques importants – c’est-à-dire les transferts de compétences que les cours constitutionnelles pourraient être tentées d’analyser de manière plus systématique.
Gouvernance économique et régulation financière
Au cours des dix-huit mois à venir, la stabilité monétaire et la croissance économique resteront les deux grandes obsessions des Européens. Dans la mesure où c’est le Trio des présidences qui assure la présidence du Conseil Affaires économiques et financières (ecofin), celui-ci sera par la force des choses impliqué dans la gestion de la crise de la dette souveraine et de la fragilité du système bancaire. En plus d’activer les mécanismes de solidarité financière mis en place pour lutter contre la dette souveraine et de s’assurer que la réforme de la gouvernance économique est mise en oeuvre (semestre européen, pacte euro-plus et mécanisme européen de stabilité), il faudra impérativement s’attaquer à la régulation du système bancaire.
Deux facteurs pourraient cependant limiter le rôle endossé par le Trio des présidences. En premier lieu, en cas de nouvelle grave crise de la dette souveraine, il est vraisemblablement que le Conseil européen soit à nouveau aux commandes. En second lieu, la plupart des enjeux seront fortement liés à la « zone euro » et seront donc débattus au sein de l’eurogroupe – présidé par le président de l’eurogroupe –, où le Danemark et la Pologne ne sont pas présents. Néanmoins, si une crise venait à frapper de plein fouet le secteur bancaire, le Trio des présidences aurait un rôle utile à jouer dans la coopération qu’une telle crise nécessiterait dans l’ensemble de l’UE-27. De plus, l’Union pourrait également avoir à affronter une crise politique si le gouvernement de l’un ou l’autre État membre en situation critique déviait des programmes de réforme – la période 2011-2012 se caractérisera probablement par une polarisation croissante entre les États membres du centre et ceux de la périphérie.
Croissance économique
Plusieurs grands chantiers ont été récemment lancés pour soutenir les politiques européennes qui pourraient favoriser une relance de la croissance : la Stratégie Europe 2020, dont l’objectif est de faire de l’UE une « économie intelligente, durable et inclusive » ; l’Acte pour le marché unique visant à accélérer l’achèvement du marché unique – support incontournable d’autres politiques européennes – ; et une révision de la politique de cohésion, conçue comme la principale politique de développement et d’investissement destinée à combler les écarts de compétitivité entre les différents États membres.
Gérer cette inflation de stratégies européennes est un défi qui va exiger un effort particulier de coordination. Favoriser la complémentarité de ces diverses stratégies permettrait non seulement d’éviter d’éventuels chevauchements et doublons, mais aussi de donner aux citoyens les moyens de mieux comprendre « ce que fait l’UE » et de renforcer leur confiance envers l’UE. En outre, l’amélioration de la compétitivité des économies européennes ne doit occulter le besoin d’encourager la cohésion entre États membres et au sein de chaque État membre – le risque de voir une Europe à deux vitesses se développer, avec des écarts croissants de performance économique entre les 27, est un leitmotiv des auteurs de cette édition 2011 de Think Global – Act European.
Le marché unique qui relève d’une compétence communautaire est certainement l’un des domaines dans lequel le Trio des présidences est le plus à même de démontrer sa capacité. Le Trio est un acteur essentiel des négociations législatives entre les États membres réunis au sein du Conseil, mais aussi de plus en plus entre le Conseil et le Parlement européen. Pour améliorer la mise en oeuvre de la législation relative au marché unique, il sera essentiel de consolider le consensus politique concernant l’adoption de l’Acte pour le marché unique et de renforcer l’implication des acteurs régionaux et locaux. En ce qui concerne les négociations législatives, au lieu d’adopter une méthode de choix sélectifs – méthode qui a tendance à paralyser les projets ambitieux – le Trio des présidences devrait privilégier l’approche de la solution globale préconisée par l’ancien commissaire Mario Monti. Cette technique consiste à regrouper des mesures législatives dans des paquets — dont il faut ensuite respecter la totalité – de manière à faciliter les compromis d’ensemble.
Cadre financier pluriannuel 2014-2020
À ce tableau s’ajoute un autre élément essentiel : les négociations relatives aux futures perspectives financières pour 2014-2020, qui doivent débuter sous la présidence polonaise. Compte tenu des coupes imposées dans les finances publiques nationales, ces négociations s’annoncent particulièrement complexes. Les autorités politiques chargées de mener les négociations dans le cadre du Conseil Affaires générales devront faire preuve d’honnêteté et expliquer à leurs concitoyens que si 1 % du budget du PIB de l’UE ne peut constituer une solution miracle pour relancer la croissance économique, ce budget peut néanmoins avoir un impact décisif dans certains secteurs et sur certains territoires.
Une responsabilité clé de la présidence polonaise sera d’entamer les négociations par un débat sur les priorités du cadre financier pluriannuel (CFP) – comme l’amélioration du ciblage des politiques et de la programmation des deux principaux postes de dépense que sont la politique agricole commune et la politique de cohésion. Ensuite, les négociations devraient se focaliser sur la manière dont le budget sera réparti. La provenance des fonds devra être abordée uniquement en fin de négociation. En choisissant de débattre de chiffres concrets en dernier lieu, l’on favorise la transition entre une approche basée sur les « positions nettes » des États membres vers une approche basée sur la valeur ajoutée européenne et les biens publics européens. Afin de transformer le prochain cadre financier pluriannuel en instrument concret de relance de la croissance économique, le Trio des présidences devrait rechercher des moyens d’améliorer l’efficacité des dépenses communautaires, notamment en renforçant la coordination entre les dépenses communautaires et les dépenses nationales (dans les domaines des services diplomatiques, de la défense ou de la recherche, par exemple) et en veillant à améliorer la réactivité des dépenses communautaires aux fluctuations économiques. La fonction de coordination globale du Trio devrait en outre viser à favoriser la cohérence entre le prochain cadre financier pluriannuel et l’objectif de réduction des émissions de carbone.
Espace de liberté, de sécurité et de justice
En ce qui concerne l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, géré par la seule présidence tournante, la mise en oeuvre du Programme de Stockholm et de son plan d’action, de la Stratégie de sécurité intérieure (SSI) et de la communication de la Commission européenne intitulée « La stratégie de sécurité intérieure de l’UE en action » devrait faire l’objet d’une attention croissante de la part du public. En outre, le débat consacré à l’espace Schengen – lié à la future adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie et, plus récemment, à la couverture médiatique de l’arrivée de migrants nord-africains sur les côtes italiennes – appelle une nouvelle consolidation des politiques communautaires en matière d’asile, d’immigration et de contrôle aux frontières. Les règles liées à l’asile doivent tenir compte du manque de ressources de certains États membres. Par ailleurs, en ce qui concerne l’immigration économique, cette question ne devrait pas être considérée comme une menace potentielle, mais bien sous l’angle d’une contribution potentielle à une croissance durable.
Politique étrangère
L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a transféré la responsabilité de la politique étrangère et de sécurité au Haut représentant pour la politique étrangère et la politique de sécurité (HR). Le HR, ainsi que le tout nouveau Service européen d’action extérieure (SEAE), prive dès lors la présidence tournante d’une grande partie de ses prérogatives. Cependant, le HRet le SEAE ne peuvent pas jouer cavalier seul. Dans le domaine des affaires étrangères et de la sécurité, les États membres continuent de jouer les premiers rôles. Afin de faciliter le travail du HR, la présidence tournante devait rester pleinement engagée dans le processus et aider le HRet le SEAE à instaurer des mécanismes de coordination efficaces avec le Conseil européen, la Commission et le Parlement européen de manière à ce que le HRet son équipe puissent agir en qualité d’interlocuteurs des différentes instances.
Dans une optique d’interchangeabilité entre les administrations nationales et européenne, le Trio pourrait également servir de modèle. Il devrait faciliter l’échange de diplomates et d’experts nationaux avec le SEAE. Dans les pays tiers et les enceintes internationales, le Trio devrait encourager la coopération entre les ambassades nationales et les délégations de l’UE, renforçant par là même le rôle de coordination de ces dernières – la coopération sur le terrain constituera assurément un test décisif pour le SEAE. Sur le plan national, le gouvernement en charge de la présidence devrait lancer un vrai débat sur d’éventuelles réductions des services diplomatiques nationaux qui, à plus long terme, pourraient être assurés par le SEAE (notamment la mise à disposition d’informations sur l’évolution politique et économique des pays tiers).
Par ailleurs, il faut se concentrer sur la dimension extérieure du marché intérieur et des bénéfices de l’intégration du marché. La dimension externe des politiques internes de l’UE – qu’il s’agisse du commerce, de l’énergie, du climat ou du marché unique – gagne actuellement en importance et en visibilité. Le Trio des présidences devrait par conséquent se servir de son rôle de président du Comité des représentants permanents (COREPER), du CAG et d’autres groupes du Conseil et de leurs groupes de travail préparatoire pour contribuer à mettre en exergue les incohérences entre les nombreuses politiques extérieures de l’UE, et notamment les dimensions externes de politiques internes comme le terrorisme, les migrations, l’asile, le changement climatique et l’énergie. Le Trio des présidences devrait également encourager une politique commerciale qui contribue à défendre les intérêts du marché unique et à oeuvrer en faveur de la conclusion du cycle de Doha.
Jusqu’à présent, le nouveau HRet les deux présidents – de la Commission et du Conseil européen – ne sont pas parvenus dans ce domaine à guider l’UE dans la bonne direction. Il appartiendra aux citoyens européens de juger si dans les années qui viennent le nouveau processus stratégique de l’UE permet de surmonter les tendances bilatérales — le mode de négociation privilégié par la Chine, qui est basé sur le principe du « diviser pour mieux régner » — et l’inertie de la bureaucratie européenne au sens large. En travaillant dans la salle des machines de l’UE et en contribuant à établir les priorités concernant les intérêts de l’Union pour chaque partenariat, la Pologne, le Danemark et Chypre peuvent contribuer à donner plus de poids à l’UE sur la scène internationale.
Élargissement et politique de voisinage
Le printemps arabe rend plus que souhaitable la révision de la politique européenne de voisinage (PEV). Dans le cadre d’une refonte de la PEV, l’UE devrait chercher à compenser la lenteur de ses réactions aux demandes pro démocratiques en s’impliquant en faveur des transitions démocratique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’UE ne doit pas négliger pour autant sa politique de voisinage à l’Est. L’intérêt commun que partagent les présidences hongroise et polonaise dans la politique régionale de voisinage devrait en tous les cas favoriser une transition fluide entre les deux trios des présidences sur cette question. Par ailleurs, le prochain Trio devrait également veiller à ce que la PEV bénéficie d’un financement accru dans le cadre du prochain CFP afin de pouvoir soutenir des projets spécifiques de développement économique et social.
Plus proche de chez elle, dans les pays candidats à l’adhésion, l’UE voit décroître son influence. Depuis 2007, la fatigue de l’élargissement se manifeste dans divers États membres et freine les perspectives d’adhésion à l’UE. Pourtant, le désengagement n’est pas une option envisageable. L’UE doit agir de manière proactive comme elle l’a fait par le passé car le sort des pays candidats affecte l’ensemble de l’UE. Les pays candidats doivent pouvoir s’appuyer sur une feuille de route claire, détaillant des exigences spécifiques pour chaque domaine politique et garantissant de la sorte le maintien de la dynamique des réformes. Mais l’UE ne doit pas transiger sur les critères d’adhésion.
Le Trio des présidences devrait également contribuer à clarifier la séparation des responsabilités entre le Service européen d’action extérieure (SEAE) et la Direction générale en charge de l’élargissement – en particulier pour les États qui ne sont que de potentiels candidats à l’adhésion. Dans le vocabulaire de l’UE, il existe une distinction claire entre les pays qui sont entrés en négociation et ceux qui ne bénéficient que d’une perspective d’adhésion. À l’heure actuelle, l’élargissement demeure la chasse gardée de la Commission, tandis que toutes les questions relatives à l’élargissement sont abordées dans le cadre du Conseil Affaires générales, qui reste présidé par la présidence tournante et dont les décisions sont soumises à l’unanimité pour toutes les questions relatives à l’élargissement.
Le groupe de travail sur l’élargissement (COELA) du Conseil traite actuellement les dossiers de la Turquie, de l’Islande et de la Croatie. En d’autres termes, le rôle de la présidence tournante se limite aux négociations au sein du COELA, qui décide pour l’essentiel de l’ouverture et de la fermeture des chapitres. Par conséquent, les deux principaux sujets de préoccupation immédiate du Trio des présidences portent sur les partenariats de mobilité et la libéralisation des visas. La place qu’occupe la Turquie dans les politiques communautaires devrait par ailleurs être mieux définie – en particulier en ce qui concerne la PEV et la politique de sécurité et de défense commune.
Politique de sécurité et de défense commune
Dans le domaine de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la consolidation (ou, à tout le moins, la stabilisation) des capacités de défense des États membres et le renforcement des capacités collectives européennes constituent des enjeux majeurs. La fragmentation, la duplication et le faible ratio coûts/efficacité des forces armées nationales se traduisent par une situation où la capacité collective des forces armées européennes est largement inférieure à la somme de ses composantes nationales. Les Européens ont différents défis à relever, tels que le niveau des dépenses de défense et leur répartition, les relations avec l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) et l’instauration d’une approche globale de gestion de crise.
La pression croissante qui s’exerce sur des budgets de défense déjà étriqués et la création du SEAE pourraient stimuler la coopération et l’intégration dans les domaines de la sécurité et de la défense. Par le biais de sa présidence du COREPER, le Trio des présidences pourrait jouer un rôle de catalyseur en attirant l’attention sur des initiatives modestes et clairement définies menées par quelques États membres – ce qui aiderait l’UE à enregistrer des succès exemplaires et par conséquent à renforcer la volonté des États membres d’aller de l’avant. En mettant en place une coopération structurée permanente, le Trio jouerait un rôle limité mais important en tant que médiateur pour les États membres de petite et moyenne dimensions. Le Trio peut également favoriser l’intégration des capacités de sécurité et de défense en encourageant la libéralisation du marché européen de la défense, et notamment en adoptant les nouvelles règles d’ouverture des marchés publics de la défense et en aidant la Commission européenne à oser critiquer les États membres qui enfreignent les règles.
Enfin, pour éviter que l’UE n’agisse comme une coalition de bonnes volontés, au sein de laquelle les moyens disponibles et les États participants déterminent la mission de la PSDC, le futur Trio des présidences devrait – en concertation avec le HR– s’efforcer de rechercher la crédibilité et l’efficacité en instaurant des critères d’intervention (faisabilité) et des mécanismes d’évaluation (responsabilité), tous ouverts au contrôle parlementaire à l’échelon tant national qu’européen. Comme les deux précédentes éditions de Think Global – Act European (TGAE), ce rapport se consacre à un scénario à moyen terme, couvrant le Trio des présidences polonaise, danoise et chypriote, de juillet 2011 à décembre 2012.1
En concentrant leur attention sur le Trio des présidences, les experts ont pu analyser l’évolution du rôle (direct et indirect) des présidences tournantes dans le cadre du Traité de Lisbonne, tout en mettant en exergue, secteur par secteur, l’interaction entre ce rôle et celui qu’endossent les autres institutions de l’UE. Cela explique l’attention portée à la politique extérieure, sur laquelle les présidences tournantes n’exercent plus aujourd’hui qu’une influence indirecte mais qui, selon les auteurs, peut être vitale pour permettre à l’UE de devenir un acteur global.
Chaque volet de ce rapport est introduit par une synthèse soulignant les éventuels consensus ou divergences d’opinion entre les auteurs. Les recommandations adressées par les experts pour chaque domaine politique visent ainsi à dresser un bilan des initiatives prises depuis 18 mois, décrypter les nouveaux défis qui sont apparus pendant cette période et formuler des propositions concrètes de court-moyen terme qui visent des avancées rapides des politiques communautaires et mettent en lumière le rôle de diverses institutions. La période de dix-huit mois couverte par chaque nouvelle édition du TGAE permet ainsi, d’un rapport à l’autre, d’établir une chronologie précise de l’évolution de l’UE.