Pas plus qu’aux Etats-Unis et à la Russie, il n’a fallu bien longtemps aux ministres des affaires étrangères de l’Asie du sud-est et de l’Union européenne réunis à Hanoï les 25 et 26 mai, pour « condamner l’essai nucléaire souterrain » effectué par la Corée du Nord, qui « constitue une violation claire des accords du groupe des Six (Chine, Russie, Etats-Unis, Japon, et les deux Corées) et des résolutions et décisions du Conseil de sécurité de l’ONU ». Le Conseil de sécurité a réitéré cette condamnation, sans que ni Moscou, ni Pékin ne fasse usage de leur droit de veto.
En quelques jours, Pyongyang s’est livré à plusieurs provocations. Après avoir procédé à l’essai nucléaire – 20 kilotonnes, selon les Russes —, le régime nord-coréen a testé plusieurs missiles, comme s’il voulait signifier clairement qu’il est non seulement capable de construire une bombe mais aussi de la transporter jusqu’au Japon, voire jusqu’aux côtes de la Californie.
Quels sont les objectifs poursuivis par Kim Jong Il, que l’on voit malade sur les rares photos où il apparait depuis qu’il aurait été victime d’une attaque cardio-vasculaire ? Force est de constater que les spécialistes se perdent en conjectures. L’explication la plus immédiate reprend celle qui avait été donnée, en 2006, après le premier essai nucléaire nord-coréen (dont on pense d’ailleurs qu’il avait en partie échoué) : c’est un moyen de chantage sur les Etats-Unis et, dans ces premiers mois de l’administration Obama, un moyen d’attirer l’attention du nouveau président américain ainsi que de tester ses réactions.
Le régime nord-coréen voudrait obtenir la reconnaissance des Etats-Unis, éventuellement sa reconnaissance en tant que puissance nucléaire, forcer une rencontre entre « le cher leader » Kim Jong Il et au moins la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, et à terme obtenir le départ des troupes américaines qui se trouvent au sud du 50è parallèle, en Corée du Sud.
Selon cette analyse, c’était déjà le but de l’essai de 2006, après une phase où la précédente administration de Bill Clinton avait essayé de mener une politique d’ouverture (et d’aide économique) à la Corée du Nord. Cette phase de « dégel » avait été marquée par une visite de la secrétaire d’Etat Madeleine Albright mais elle avait été de courte durée (1998-2000).
Quant au président George W. Bush, il a alterné une politique de fermeté, qui rompait avec celle de son prédécesseur, et des gestes d’ouverture qui lui furent amèrement reprochés par les plus intransigeants de ses conseillers. Ni les tentatives de conciliation, ni les sanctions n’ont en tous cas atteint leur but, c’est-à-dire empêcher que la Corée du Nord ne soit un Etat « proliférant ».
C’est d’autant plus vrai qu’un des objectifs de la Corée du Nord serait justement de rehausser son statut de pays fournisseur de technologie nucléaire. L’essai du 25 mai serait alors une sorte de publicité. On sait que Pyongyang a fourni un réacteur à la Syrie – qui a été détruit par l’aviation israélienne – et que la coopération avec l’Iran s’est développée.
Les observateurs avertis du régime nord-coréen, qui reste un des plus fermés de la planète, avancent une autre explication. La situation intérieure serait le véritable mobile de la politique nucléaire. Kim Jong Il aurait besoin de l’appui des militaires pour régler sa succession au profit du plus jeune de ses fils Kim Jong Un, âgé d’une vingtaine d’années. Il a placé son beau-frère au comité militaire qui jouera un rôle essentiel, aux côtés du parti, dans la désignation du futur leader. Kim Jong Il avait été lui-même « intronisé » par son père Kim Il Sung, le « grand leader », baptisé peu de temps après sa mort en 1994 « président éternel ». Satisfaire les envies de puissance et de prestige serait le meilleur moyen d’assurer le maintien au pouvoir de la dynastie.
Pour certains experts, la rhétorique guerrière et les démonstrations de force ont aussi pour but de consolider les fondements du régime au moment où une certaine dose de réforme économique a été introduite avec l’autorisation des petits marchés privés. D’autres au contraire estiment que les « durs » ont regagné de l’influence. Les fonctionnaires qui avaient été très actifs dans la politique « du rayon de soleil » de coopération avec Séoul auraient été limogés. Le principal responsable aurait même été envoyé dans un camp, voire exécuté. Dans le même temps, les marchés privés auraient été fermés alors qu’ils permettaient d’atténuer les souffrances de la population.
Quelles que soient les raisons, le résultat est le même. Toutefois, l’action qui doit être menée pour contrer la politique nord-coréenne dépend en grande partie de l’analyse de la menace. Si les raisons intérieures dominent, il est vain d’attendre des effets d’ouvertures diplomatiques. La « méthode Obama » qui est censée ne reposer uniquement ni sur le hard power ni sur le soft power mais bien sur un smart power, est ainsi à l’épreuve. Car derrière la Corée du Nord se profile l’Iran. L’issue du bras de fer avec Pyongyang influera sur le dénouement de la crise avec Téhéran. Comme l’écrit The Economist, si Kim Jong Il a gain de cause, il aura « fait la preuve qu’on peut avoir la bombe à condition d’être suffisamment agressif suffisamment longtemps. »
Une première mesure de rétorsion contre la Corée du Nord serait d’appliquer une des dispositions de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies de 2006, qui permet l’inspection et l’arraisonnement des navires suspectés de transporter des matières ou des engins « sensibles ». Il faudrait toutefois que les grands pays soient d’accord non seulement pour affirmer le principe mais pour agir. Ce n’est pas le cas de la Chine.
La position de Pékin est cruciale dans cette affaire. La Chine a condamné l’essai nucléaire nord-coréen. Elle se méfie de son voisin tout en étant son seul soutien. Elle a deux hantises complémentaires. Elle craint un effondrement du régime nord-coréen qui se traduirait par des vagues de réfugiés en direction de son territoire. C’est une des raisons pour lesquelles elle s’oppose jusqu’à maintenant à des sanctions économiques trop rigoureuses. Et elle craint aussi que si le système communiste de Pyongyang disparaissait, les forces américaines stationneraient dans toute la Corée, jusqu’à ses frontières.
Les Chinois sont ainsi les interlocuteurs incontournables des Américains pour qui ils sont, dans le dossier coréen comme sur d’autres sujets, à la fois des partenaires, des adversaires et des rivaux.