Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient décidé d’afficher leur bonne entente. A la veille de la conférence de Munich sur la sécurité, ils avaient publié dans Le Monde et dans le Süddeutsche Zeitung un article commun sur les questions de la défense européenne et de l’OTAN. A cette réunion, ils étaient apparus dans le même débat, comme s’ils faisaient front commun face au vice-président américain, ce qui ne les a pas empêchés de laisser percer quelques divergences. Dans les coulisses, ils se sont mis d’accord pour adresser une lettre commune au président de la Commission de Bruxelles et au premier ministre tchèque qui assume la présidence semestrielle de l’Union européenne, afin de leur demander la convocation d’un Conseil extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement consacré à la crise économique.
C’était un signe de leur accord sur un sujet qui les divise depuis quelques mois. Nicolas Sarkozy voulait réunir un nouveau sommet de l’Eurogroupe après celui qu’il avait organisé en octobre dernier à Paris. Angela Merkel s’y est opposée, même si le président de la République avait consenti une énorme concession en acceptant que la réunion ait lieu à Berlin et non à Paris ! Le Conseil européen extraordinaire est un pis-aller, résultat d’un compromis. L’Allemagne se sent moins mise à contribution si les Vingt-Sept sont présents. Au contraire, quand elle se retrouve au sein de l’Eurogroupe, elle craint d’être obligée de payer pour les mauvais élèves de la zone euro.
Après ces faux-pas, le président de la République et la chancelière ont voulu manifester une prise de conscience dont ils n’étaient pas familiers, à savoir que la coopération franco-allemande est une condition indispensable à des progrès de la politique européenne. Cette lettre commune rappelle la démarche entreprise par François Mitterrand et Helmut Kohl en avril 1990 auprès de la présidence des Communautés européennes, alors assumée par l’Irlande, pour donner le signal des conférences intergouvernementales qui allaient donner naissance au traité de Maastricht. Après les divergences affichées au moment de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Allemagne de l’Est, les deux hommes d’Etat avaient à cœur de souligner leur entente dans l’intérêt de l’Europe.
Sauver les apparences
La démonstration tentée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel peut difficilement être convaincante. La lettre commune était à peine envoyée qu’une nouvelle polémique éclatait entre Paris et Berlin à propos de l’aide française au secteur automobile que les Allemands ont immédiatement qualifié de « protectionniste », eux qui ne craignent rien plus que cette tentation de repli sur soi. « Un pays qui a 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux ne peut pas être protectionniste », aime à répéter la chancelière allemande. Elle n’apprécie pas non plus le mépris que Nicolas Sarkozy ne peut s’empêcher de marquer à l’égard de ses successeurs tchèques à la présidence de l’UE. Non qu’elle apprécie particulièrement les dirigeants de Prague, mais elle saisit l’occasion de se présenter comme l’avocate des « petits » pays.
Malgré leurs efforts pour sauver les apparences, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont du mal à cacher leur antipathie réciproque. La chancelière se méfie de son interlocuteur parisien qu’elle juge agité et imprévisible. Quant à Nicolas Sarkozy, il ne connaît pas les Allemands et ne cherche pas à les comprendre. A ces considérations personnelles s’ajoutent des raisons à la fois structurelles et politiques aux mésententes franco-allemandes. En France, le président décide sans se soucier de l’avis d’autres acteurs institutionnels ; en Allemagne, le pouvoir est beaucoup moins concentré et la chancelière doit tenir compte de ses partenaires de la coalition gouvernementale et des compétences dispersées par le système fédéral. Enfin, l’Allemagne n’est plus aussi dépendante de l’Europe qu’elle l’était quand elle était divisée. Elle joue le jeu de l’Europe qu’elle a largement contribué à définir mais elle ne cherche plus à en être le meilleur élève et à lui sacrifier ses intérêts.