Crise économique et fracture Est-Ouest

Les pays d’Europe centrale et orientale sont durement touchés par la crise. A l’heure où les pays d’Europe occidentale expriment certaines tentations protectionnistes, le risque est grand de voir s’effriter le capital de confiance européen des nouveaux pays membres de l’UE. Article publié dans le cadre du partenariat entre Boulevard Extérieur et le Centre d’Etudes et de Recherches Internationales CERI/Sciences-Po.

Si aucun expert n’est –et ne sera pour quelque temps encore- en mesure d’évaluer les effets exacts de la crise sur les économies européennes, un fait est au moins certain : les dix pays d’Europe centrale et orientale qui ont adhéré en 2004 et 2007 sont touchés durement. Deux d’entre eux, la Hongrie et la Lettonie, ont d’ores et déjà appelé à leur secours le Fonds Monétaire International. La difficulté des économies centre et est-européennes est double. L’une est d’ordre commercial : ayant construit leur croissance sur une production industrielle à l’exportation rendue possible par une main d’œuvre qualifiée et bon marché, les Dix se trouvent subitement confrontés à des commandes en plein repli. La situation est d’autant plus grave que ces pays se sont surtout positionnés sur l’automobile et les biens de consommation qui sont les premiers à s’effondrer en période de crise. L’autre difficulté est liée au fait que le système financier des Dix dépend pour l’essentiel des banques ouest-européennes, notamment allemandes, autrichiennes et italiennes. Dans une mauvaise passe au plan interne, celles-ci sont tentées par le rapatriement de leurs actifs investis à l’extérieur. A cela s’ajoute un autre problème : 25% au moins des actifs détenus par les banques des pays d’Europe centrale et orientale seraient dits « pourris ». 

On mesure aujourd’hui combien la subordination économique, mais aussi politique, des nouveaux Etats membres de l’Union à l’égard des anciens Etats membres est grande. Voilà qui devrait calmer les craintes de tous ceux qui, à l’ouest, avaient pensé que la nouvelle Europe issue du postcommunisme vivrait sa vie au détriment des membres originels du club. L’Union à vingt-sept n’a aujourd’hui guère d’autre choix que de resserrer davantage ses rangs. Il y a d’abord un intérêt économique à le faire. Les investissements industriels et les actifs bancaires (estimés à 1000 milliards d’euros investis par l’ouest à l’est) ont créé une si grande interdépendance que tout rapatriement brutal serait nuisible aux deux côtés. Il y a un intérêt politique ensuite. Dans des pays d’Europe centrale et orientale où, cinq ans après l’élargissement, l’enthousiasme en faveur de la construction européenne n’est pas de mise, les Vingt-Sept doivent prouver que la gestion solidaire de la crise est un bénéfice de l’adhésion. Ce serait un moyen de limiter l’euroscepticisme caricatural du Président Vaclav Klaus en République tchèque, ou celui plus subtile de l’ancien Premier ministre Viktor Orban en Hongrie. De récents sondages en Irlande montrent d’ailleurs que la crise économique tend à ramener les citoyens vers une appréciation plus positive de l’Europe, dont ils se disent qu’elle représente tout de même un point d’ancrage et de stabilité.

Solidarité ou protectionnisme

A l’ouest, l’affirmation d’un protectionnisme national pour surmonter la crise économique est bien entendu la pire des solutions. On semble l’avoir compris à Londres comme à Berlin. A Paris, les choses sont plus ambigües, parce qu’une partie de la société et des élites françaises, de gauche comme de droite, croient tout simplement au protectionnisme comme remède. « Si on donne de l’argent aux industries, ce n’est pas pour apprendre qu’une nouvelle usine va partir en Tchéquie », a déclaré récemment Nicolas Sarkozy. De tels propos, essentiellement à destination du public français, sont en fait contreproductifs vis-à-vis de l’Europe. Ils donnent en effet l’impression que la France, pays fondateur de l’Union européenne, conteste l’un des fondements mêmes de la construction européenne depuis le traité de Rome qui est la libre circulation des biens. Ensuite, ils excitent inutilement les tensions politiques. En citant explicitement la « Tchéquie » en référence à son secteur automobile où les intérêts français sont très présents, Nicolas Sarkozy semble ne plus souhaiter l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Si la Chambre des députés tchèque a en effet autorisé la ratification de ce traité par 125 voix contre 61 le 18 février, il reste à passer la barre du Sénat en avril. Or aucun observateur de la scène politique pragoise n’est certain, aujourd’hui, que les sénateurs diront à leur tour oui à la majorité des trois cinquièmes. Pourquoi alors donner du grain à moudre aux plus eurosceptiques d’entre eux, notamment au sein du parti ODS ? 

Plus que jamais, l’intérêt des Vingt -Sept est de prouver aux dix Etats d’Europe centrale et orientale que la crise est gérée avec eux et non contre eux, parce que le sort économique et politique des deux côtés est intimement lié. Il faut donc espérer que les engagements à la solidarité pris par le Conseil européen de Bruxelles, le 1er mars, ne restent pas de vains mots.