Crise italienne, crise européenne

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

Les commentateurs sont unanimes : le résultat des élections générales italiennes du 24 et du 25 février est un des pires scenarii qu’on pouvait imaginer : une majorité à la Chambre pour la coalition de gauche, pas de majorité au Sénat (qui a les mêmes pouvoirs que la Chambre), le succès du mouvement populiste du comique Beppe Grillo, et la déroute du centre mené par Mario Monti. Un mot revient en boucle : Ingovernabilità. L’Italie est « ingouvernable ». Déjà, l’hypothèse d’un nouveau scrutin dans quelques mois est évoquée. Avec la même loi électorale, fruit d’un compromis que son auteur a lui-même qualifié de « cochonnerie », le résultat risque fort d’être identique. Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire des deux républiques mais la crise n’est plus seulement nationale, elle est devenue européenne.

Les Italiens ont dit « non » à la politique menée par le gouvernement Monti depuis un an et demi pour réduire la dette, consolider le budget et réformer l’économie. L’ancien commissaire européen appelé au pouvoir pour mettre fin aux frasques de Silvio Berlusconi a appliqué la politique préconisée par Bruxelles, sous la pression de l’Allemagne. Son succès a été limité mais surtout les sacrifices exigés ont été rejetés par les électeurs, à une écrasante majorité. Le mouvement Cinq étoiles de Beppe Grillo, qui n’existait pas il y a encore quelques mois, a remporté un quart des voix, aussi bien à la Chambre qu’au Sénat. Son programme, si ce mot à un sens en l’occurrence, peut se résumer par la formule d’un autre comique, français celui-là, Pierre Dac : Pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour.

Mais aux soutiens de Grillo, il faut aussi ajouter une bonne partie des électeurs du Peuple de la Liberté, le parti de Silvio Berlusconi. L’ancien président du conseil a fait campagne contre Bruxelles, contre le « diktat allemand », en promettant des baisses d’impôts totalement démagogiques.

Membre fondateur du Marché commun, l’Italie était un des pays les plus « européens » du Vieux continent. Elle est en train de se retourner contre ce qu’elle a adoré pendant un demi-siècle. C’était en Europe qu’elle trouvait sa prospérité et son identité. Elle menace de rejoindre le groupe des eurosceptiques parce que l’Europe ne lui propose plus que du sang et des larmes, sans espoir d’une véritable sortie de crise.

C’est un avertissement qui devrait être pris au sérieux. Les dirigeants européens qui donnent le ton de Bruxelles à Berlin ne peuvent plus continuer à imposer une politique qui est de plus en plus nettement rejetée par les citoyens. La diminution des déficits, la réduction de la dette, les efforts de compétitivité dans un marché mondialisé sont certes nécessaires. Mais entre la gestion rigoureuse et la récession généralisée – c’est la menace qui pèse sur l’ensemble de la zone euro, d’après les prévisions mêmes de la Commission –, il y a une voie moyenne à trouver, un nouveau rythme à mettre en œuvre pour la réduction des dépenses qui n’étoufferait pas l’activité. François Hollande avait promis une politique tournée vers la croissance. Il était bien seul en Europe et il a dû se contenter de bonnes paroles.

L’ingovernabilità italienne montre qu’il est temps de passer aux actes.