De l’Iran à la Syrie, l’impuissance internationale

A la 49ème Conférence sur la sécurité qui a eu lieu à Munich du 1er au 3 février, le Moyen-Orient a tenu une place importante dans les discussions. Le ministre iranien des affaires étrangères Ali Akbar Salehi a donné l’impression de répondre positivement à l’offre de dialogue direct proposée la veille par le vice-président américain Joe Biden. Mais l’optimisme a été de courte durée. D’autre part, le président de la Coalition nationale syrienne, Moaz al-Khatib, a proposé de rencontrer des représentants du pouvoir à condition que des prisonniers politiques soient libérés, pour tenter de mettre fin au conflit qui en deux ans a fait plus de 65000 morts.

L’illusion aura fait long feu. A l’occasion de la conférence de Munich, l’impression s’était fait jour que des progrès étaient possibles dans le dossier iranien. Certes le vice-président Joe Biden avait rappelé la position traditionnelle de son gouvernement : il ne s’agit pas « d’endiguer » l’Iran (no containment) mais de l’empêcher de se doter de l’arme nucléaire. Il avait en même temps ouvert la voie à un dialogue direct entre Washington et Téhéran, en dehors des négociations des six (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) avec l’Iran qui se trainent depuis près de dix ans sans résultat. Ces négociations devraient d’ailleurs reprendre dans quelques semaines à Almati, au Kazakhstan.

Il y a longtemps déjà que parmi les observateurs occidentaux l’idée s’est imposée qu’une des revendications du régime de mollahs est une relation directe, « d’égal à égal » avec les Etats-Unis. Il s’agirait pour eux de recevoir ainsi une sorte de consécration internationale du rôle central de leur pays dans la région. C’est ce qu’a laissé entendre dans un premier temps à Munich le ministre iranien des affaires étrangères, Ali Akbar Saheli. Il a qualifié la proposition américaine de « pas en avant », une « ouverture que l’on prend en considération ». Il avait toutefois ajouté que pression et dialogue ne sont pas compatibles, tout en se défendant de vouloir poser des conditions. Une levée, même partielle des sanctions internationales et bilatérales qui frappent l’Iran, faisait-elle partie de ces conditions ? La réponse n’était pas claire.

Le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a rapidement mis les choses au point : il n’est pas question d’entrer dans un dialogue avec « le grand Satan ». Le petit pas en avant qui semblait avoir été fait à Munich s’est trouvé réduit à rien.

Il est vrai que peu de monde était dupe. Le ministre des affaires étrangères n’est pas un personnage important dans la hiérarchie iranienne et ce n’est pas lui qui est mesure de prendre des décisions sur des questions aussi importantes que le programme nucléaire ou les relations avec les Occidentaux. Son rôle est de « vendre » le plus habilement possible, avec amabilité quand c’est utile, avec fermeté quand c’est nécessaire, les positions du régime arrêtées ailleurs.

Impasse en Syrie

C’est pourquoi il ne faut pas attacher trop d’importance à la rencontre entre Ali Akbar Saheli et le président de la Coalition nationale syrienne (CNS) Moaz al-Khatib, en marge de la Conférence. Il suffit de prendre note de cet entretien, le premier entre un représentant officiel de l’Iran, qui soutient Bachar el-Assad, et l’opposition syrienne.

Le représentant spécial de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, a répété le rapport pessimiste présenté quelques jours plus tôt devant le Conseil de sécurité. Il n’y a pas de solution politique, a-t-il dit, et il n’y a pas de solution politique, au moins entre Syriens. La seule possibilité d’action réside dans le Conseil de sécurité, mais celui-ci est paralysé par les divergences entre les Occidentaux d’une part, les Russes et les Chinois d’autre part.

Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, n’a laissé percer aucune évolution de la position de son pays. A Davos, le Premier ministre Dmitri Medvedev avait soulevé quelque espoir d’un assouplissement du soutien de Moscou à Bachar el-Assad en affirmant que le dictateur syrien avait « commis quelques erreurs ». La formule a fait plaisir à qui voulait bien l’entendre mais elle avait d’autant moins de portée qu’elle émanait d’un personnage dont l’importance politique est en chute libre en Russie. Pour la Russie, le texte qui doit servir de base à toute solution est la déclaration de Genève de juin 2012. Celle-ci prévoit la formation d’un gouvernement acceptable par les deux parties, qui détiendrait la totalité du pouvoir exécutif et gérerait la transition jusqu’à des élections.

« L’ambiguïté constructive », soulignée par Lakhdar Brahimi, consiste à faire silence sur le sort du président Assad. Pour les Occidentaux, le gouvernement de transition doit se faire sans lui, pour les Russes, seules les élections en décideront. Moaz al-Khatib a fait un geste en se déclarant prêt à s’assoir à la même table que le régime à condition d’un geste de bonne volonté, comme la libération d’un millier de prisonniers politiques. Outre le fait que le régime n’a pas répondu, la proposition de Moaz al-Khatib n’est pas soutenue par l’ensemble de l’opposition. La CNS, qu’une grande partie de la communauté internationale a reconnue comme représentante du peuple syrien, perd de son influence à la fois sur les combattants et sur la population civile, y compris dans les zones qu’elle contrôle. Elle n’a guère de leviers militaires, politiques voire simplement humanitaires, pour s’imposer.

De la même manière, l’influence des Occidentaux décline chez les opposants. « Nous nous souviendrons de qui nous a aidés et qui nous a laissé sans moyen face au régime d’Assad ». La phrase rapportée par le sénateur américain John McCain inquiète les partisans d’une action plus vigoureuse des Etats-Unis, qu’ils se recrutent chez les néoconservateurs ou chez les libéraux internationalistes. Tous regrettent la prudence du président Obama qui n’a pas envie de se voir impliquer dans une nouvelle guerre, après l’Irak et l’Afghanistan.

Les plus militants comme John McCain ne réclament pas une intervention avec des boots on the ground mais des actions visant à empêcher l’aviation du régime de bombarder les populations civiles, soit en la clouant au sol par quelques tirs de missiles de croisière, soit en utilisant les Patriots basés en Turquie. En déclarant que le recours à des armes chimiques représente une « ligne rouge », le président Obama a « tracé une ligne verte pour tout le reste », a regretté le sénateur. Quant à Sergueï Lavrov, il n’est pas inquiet pour les armes chimiques tant qu’elles sont en de bonnes mains, c’est-à-dire contrôlées par Assad. Ce qui serait dangereux, c’est qu’elles tombent dans les mains de l’opposition, a-t-il dit…

Ministre des affaires étrangères turc, Ahmed Davutoglu, est ressorti de sept heures d’entretien avec Bachar el-Assad en août 2011 avec la conviction que toute tentative de dialogue avec le dictateur est une « illusion ». On ne peut renvoyer dos à dos le régime et l’opposition. Qui possède des avions pour bombarder les villes ? a-t-il demandé. Les responsables des crimes doivent être nommés. La Turquie, qui accueille déjà un grand nombre de réfugiés syriens, est prête à faire plus mais elle ne veut agir que dans la légalité internationale. Une zone d’interdiction aérienne ou des zones tampons sécurisées ne peuvent être décidées que par le Conseil de sécurité de l’ONU, a a insisté Ahmed Davutoglu : ceux qui nous poussent à agir sans le soutien de l’ONU seraient les premiers à nous critiquer si nous le faisions.

John McCain a enfoncé le clou : nous, les Occidentaux, sommes en train de perdre la confiance du peuple syrien et de laisser pourrir un conflit qui nourrit de nouvelles générations de djihadistes. Personne aux Etats-Unis, y compris dans l’administration Obama, ne croit que la politique actuelle peut réussir, mais personne n’a le courage d’en mettre une autre en œuvre. Il faut en finir avec le waiting from behind.