De l’utilité des sanctions internationales

Alors que la nouvelle administration Obama procède à une révision de la politique américaine vis-à-vis de l’Iran, les Occidentaux évoquent un renforcement des sanctions contre le régime de mollahs, estimant qu’une telle mesure, si elle était approuvée par le Conseil de sécurité, donc suivie par la Russie et la Chine, pourrait ramener les dirigeants de Téhéran à la table des négociations. Jusqu’à maintenant, les sanctions en place depuis un peu plus d’un an n’ont pas eu d’effet sur la politique nucléaire de l’Iran mais ont contribué à l’aggravation des conditions de vie des Iraniens. De l’Iran à la Birmanie en passant par Cuba, l’efficacité des sanctions est en question.

L’histoire des sanctions est marquée par la quête souvent infructueuse d’efficacité de la part de ceux qui les emploient. La fin de la guerre froide voit l’essor des sanctions économiques. Aussi bien l’ONU par des sanctions multilatérales que les Etats-Unis par des mesures unilatérales ont eu recours à nombreuses reprises à l’embargo, pas moins de douze pays sont touchés au cours de la décennie qui suit la fin de la guerre froide. L’augmentation est tout aussi sensible en matière d’embargos décidés par le Congrès américain, certains d’entre eux déjà existant sont renforcés, l’embargo cubain en 1992 et en 1996. De nouvelles mesures sont mises en place contre l’Iran et la Libye en 1996.

Un embargo sur trois atteindrait ses objectifs. Estimation délicate car les objectifs d’un embargo sont souvent mal définis. S’agit-il de punir un Etat déviant, de le contenir, d’exercer une action sur sa politique qu’elle soit nationale ou étrangère ? Comment mesurer l’impact de l’embargo sur l’Etat cible ?

C’est peu dire, certains embargos sont inutiles. L’embargo américain contre Cuba n’a pas eu jusqu’à aujourd’hui des effets politiques favorables aux intérêts de l’Etat américain, cette mesure n’a fait que contenter les milieux Cubains-Américains. L’épisode le plus désastreux des sanctions a été sans nul doute l’embargo multilatéral qui a frappé l’Irak de 1991 à 2003. Il a eu des effet particulièrement meurtriers sur la population civile sans véritablement remettre en question le régime de Saddam Hussein.

L’utilité de l’embargo se mesure en termes de proportionnalité. C’est le rapport entre des bénéfices escomptés, un objectif politique à atteindre, et des coûts subis. Ces coûts peuvent être de plusieurs ordres, pour l’Etat qui décide de la sanction comme pour la cible. D’ordre économique, ce sont les bénéfices dont se prive l’Etat qui décrète l’embargo en s’empêchant de commercer avec la cible (cela concerne les sanctions unilatérales). D’ordre humanitaire, ce sont les souffrances des populations civiles qui n’ont pas accès à des biens de première nécessité. Ce phénomène de privation est susceptible d’intervenir en cas de sanctions multilatérales exercées contre un Etat fortement dépendant du commerce extérieur notamment dans le domaine de la santé publique.

Troisième voie

A la suite de l’échec irakien, un nouveau régime de sanctions voit le jour, les « sanctions intelligentes » (smart sanctions). Elles seraient ciblées et éviteraient ainsi de toucher des civils. Elles viseraient les dirigeants des Etats ciblés et leurs avoirs à l’étranger. Elles doivent créer un effet de surprise et elles ne doivent pas être trop prolongées.

Les conditions de l’après 11 Septembre mènent à une nouvelle appréciation des sanctions. Alors qu’elles avaient été considérées comme une alternative favorable à la guerre, l’après 2001 voit le retour de la guerre comme substitut des sanctions, l’exemple le plus frappant est l’Irak. La guerre est privilégiée pour imposer des objectifs des Etats-Unis et l’utilité des embargos dépend de l’appréciation des enjeux sécuritaires.

Y a-t-il aujourd’hui de la place pour une troisième voie ? C’est un défi, ni les sanctions ni la guerre ne sont des solutions a priori efficaces pour atteindre des objectifs comme la contre-prolifération ou bien la riposte à des agressions humanitaires. Le cas de l’Iran est exemplaire. L’unilatéralisme n’est pas efficace et il est difficile de savoir par avance quels seraient les effets de sanctions multilatérales contre le régime iranien. Par ailleurs, les effets de l’inaction prêtent à un débat qui oppose les pessimistes aux optimistes. Mieux vaut considérer les sanctions comme partie de l’exercice de la diplomatie. Leur efficacité est mesurée à l’aune des progrès dans des tractations bilatérales ou multilatérales, le cas de la Corée du Nord devrait nous engager sur cette voie. Assortie à d’autres possibilités de coercition, l’arme économique et toutes ses gradations ne sont qu’une des facettes d’une politique multilatérale.