Dans son intervention télévisée, jeudi 12 mars, le président de la République a reconnu les limites de l’économie libérale. Il a dit et répété que la santé n’avait pas de prix, qu’il fallait coûte que coûte ralentir la progression de l’épidémie… Les mots ont leur sens : « coûte que coûte » signifie clairement que le prix n’est pas le premier critère. Emmanuel Macron ne laisse aucun doute subsister quant à l’interprétation quand il précise qu’il y a des biens hors marché. « Ce que révèle cette pandémie c’est qu’il y a des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »
Pour Piotr Smolnar dans Le Monde, c’est le « retour des Etats ». Non que les Etats aient jamais disparu, mais les internationales de la mondialisation leur laissaient peu de pouvoir. Or dans le combat contre le virus, ce sont bien les Etats qui sont en première ligne – et en ordre dispersé comme en Europe hélas, et même en désordre l’un contre l’autre, fermant les frontières au voisin sans concertation.
Le pouvoir de l’Etat peut s’exercer par la contrainte ou par l’adhésion des citoyens en démocratie. Une récente et vaste étude de la Fondapol a montré les fragilités de nos démocraties rongées par les populismes et les régimes autoritaires, et elle a notamment souligné que les critiques les plus vives du fonctionnement démocratique ont lieu dans les pays les plus démocratiques précisément : la confiance dans les institutions élues n’y est plus entière, les citoyens estimant davantage la police, l’armée ou l’hôpital. En Europe même la séparation des pouvoirs est mise en cause dans certains pays de la Mitteleuropa alors qu’aux Etats-Unis Trump s’attaque aux « checks and balances ».
Il y a eu, dans la gestion de la crise sanitaire, une scansion particulière qui a manifesté la tension entre l’autorité de l’Etat et l’adhésion des citoyens : après un dimanche ensoleillé où nous nous sommes promenés dans les parcs et sur les plages, le confinement a renvoyé chacun chez soi, et le second tour des élections municipales a été reporté. “Comme il faut de la vertu dans une république, et dans la monarchie de l’honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement despotique ; la vertu n’y est point nécessaire et l’honneur y serait dangereux”. Où était la vertu dont parlait Montesquieu ?
On a commencé à critiquer la gestion de la crise qui n’est pas seulement sanitaire mais bien économique et sociale. On a critiqué l’Europe, absente ou divisée. On critique le nationalisme ridicule de Donald Trump dans un pays dont il a contribué à détruire le système de santé. On a peur et on craint qu’« ils » ne nous mentent. Mais tout le monde n’a pas peur : aux fenêtres et aux balcons des villes d’Italie et d’Europe, il y a des gens qui chantent, qui jouent de la musique ou qui applaudissent : ce sont les citoyens.