Deauville : le retour de la troïka

Nicolas Sarkozy reçoit lundi 18 et mardi 19 à Deauville pour un sommet à trois la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev. Pour le président français comme pour le chef du gouvernement allemand il s’agit de sonder « les pensées et les arrière-pensées de chacun », alors que le moment parait propice pour ancrer durablement la Russie à l’Occident, dit-on officiellement.

La troïka est reconstituée. Les dirigeants français, allemands et russes se retrouvent comme en 2003 Jacques Chirac, Gerhard Schröder et Vladimir Poutine quand il s’agissait de dire « non » à la guerre en Irak lancée par George W. Bush. Les protagonistes comme les circonstances ont changé. La rencontre de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Dmitri Medvedev à Deauville n’est dirigée contre personne. Le président français et la chancelière allemande prennent soin de préciser au contraire que l’amélioration des relations entre les Etats-Unis et la Russie, grâce à la remise à plat (reset) décidée par Barack Obama, permet aux Européens de « parler sécurité entre eux ».

Chacun y va de son concept. Dès son entrée en fonction, en 2008, le président russe a proposé la négociation d’une nouvelle architecture de sécurité pour toute l’Europe. Nicolas Sarkozy veut un « espace économique, humain et de sécurité commun en Europe ». Angela Merkel propose la création d’un « comité politique et de sécurité Union européenne-Russie ».

Marginaliser l’OSCE

L’objectif du Kremlin est clair même s’il est formulé prudemment : créer une institution de sécurité européenne qui marginalise l’OTAN, donne un droit de veto à la Russie sur les décisions des Occidentaux et se substitue à l’OSCE (Organisation de sécurité et de coopération en Europe) qui, aux yeux des Russes, s’est beaucoup trop occupée, ces dernières années, de surveiller les élections dans l’espace postsoviétique. La France et l’Allemagne se livrent à un exercice délicat. Elles n’ont pas voulu rejeter la proposition de Dmitri Medvedev dans lequel Nicolas Sarkozy comme Angela Merkel voient un dirigeant russe plus ouvert et plus moderne que Vladimir Poutine. En même temps, ils ne peuvent pas ne pas savoir que cette idée du « libéral » Medvedev est une vieille antienne de la diplomatie soviétique. D’autre part, ils ne peuvent pas manifester un trop grand enthousiasme pour une proposition qui a reçu un accueil plutôt frais à Washington. Enfin, ils doivent se garder de toute attitude qui renforcerait les craintes et les soupçons de partenaires européens, tels les Italiens, mécontents de ne pas être associés au sommet de Deauville, ou les Polonais qui ont toujours peur d’être pris en tenaille entre l’Allemagne et la Russie. Le « triangle de Weimar » qui réunit la France, l’Allemagne et la Pologne, a été créé au lendemain de la réunification allemande pour dissiper ces craintes. Récemment, les ministères des affaires étrangères des trois pays ont travaillé ensemble à une approche commune vis-à-vis de la Russie. Les Polonais sont d’autant plus marris d’être écartés de cette rencontre franco-germano-russe.

L’avenir européen de la Russie

L’objectif de Nicolas Sarkozy comme d’Angela Merkel est de démontrer que l’avenir de la Russie se trouve en Europe et d’en convaincre Dmitri Medvedev. Le moment parait propice pour plusieurs raisons. La crise financière et économique mondiale a durement touché la Russie, plus que ses dirigeants n’ont bien voulu l’avouer sur le moment. Elle a démontré la dépendance du pays par rapport à l’extérieur. D’autre part, dans la rivalité permanente entre « occidentalistes » et « slavophiles » qui traverse la politique russe, les premiers ont l’oreille du président. La modernisation de l’économie russe dont Dmitri Medvedev s’est fait le chantre passe par l’augmentation des investissements occidentaux, en particulier européens, en Russie.

Dans ce domaine, la France et l’Allemagne sont en compétition. Elles ne partagent pas non plus les mêmes intérêts quand il est question d’énergie. L’Allemagne est beaucoup plus dépendante que la France du pétrole et surtout du gaz russe. C’est une des raisons qui expliquent l’incapacité de l’Union européenne à définir une politique énergétique commune. La concurrence économique et commerciale entre la France et l’Allemagne, qui a plus d’une longueur d’avance sur le marché russe, ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy et Angela Merkel de s’entendre. Ils ont au moins un intérêt commun : ne pas laisser les Russes jouer les pays de l’UE les uns contre les autres et présenter, dans toute la mesure du possible, l’Union comme le véritable interlocuteur. En ce sens, la rencontre à trois de Deauville devrait servir de préparation au prochain sommet UE-Russie et non pas le vider de sa substance.

Les séquelles de la Géorgie

L’exercice dans lequel se sont lancés le président français et la chancelière allemande est délicat. Donner l’impression qu’ils privilégient le dialogue avec Dmitri Medvedev et qu’ils misent sur lui à l’avenir ne serait pas lui rendre service s’il se trouvait face à Vladimir Poutine à l’élection présidentielle de 2012. De plus, si le climat s’est amélioré en Europe au cours des deux dernières années (reprise du dialogue OTAN-Russie, accord sur la limitation des armements stratégiques entre Moscou et Washington, révision du bouclier antimissile américain en Europe centrale, coopération russe sur l’Afghanistan, accord de Moscou sur le renforcement des sanctions contre l’Iran, etc.), il reste de nombreux sujets de désaccord et des « conflits gelés » dont la Russie bloque souvent la solution. Enfin, Nicolas Sarkozy ne peut pas avoir oublié que depuis la guerre d’août 2008, la Russie non seulement occupe une partie de la Géorgie mais qu’elle ne respecte pas les engagements pris devant lui. Le signataire des accords était déjà un certain Dmitri Medvedev.