Paradoxalement, au moment où Washington renforce fortement son potentiel militaire, son influence politique décline, notamment en Asie. Personne ne doute, en Asie, que les Etats-Unis sont la plus grande puissance militaire, l’économie dominante et le pôle d’influence culturelle numéro un dans le monde. Mais cette puissance est perçue comme déclinante parce que les Etats-Unis ne font plus de l’Asie une priorité de leurs préoccupations, parce qu’ils ont affaibli leurs relations avec leurs principaux alliés dans la région, et ont terni leur image de partenaire avec la guerre en Irak.
La voie de la modernisation en Asie ne suit pas un modèle américain : la Corée du Sud, Taiwan et Singapour, trois pays qui sont aujourd’hui des démocraties solides, ont commencé par être des dictatures et sont aujourd’hui, grâce à leur classe moyenne éduquée, des démocraties robustes. Alors que les Philippines, qu’on présentait comme un modèle de démocratie dans le tiers-monde, sont passés du rang de deuxième pays le plus riche de la région à celui d’un pays pauvre. Un peu partout en Asie, on considère comme « naïf » de promouvoir la démocratie au même titre que le développement économique, comme le font les Etats-Unis. Le modèle chinois est perçu comme plus en phase avec les réalités asiatiques.
Du coup, la Chine n’a pas eu à faire le moindre effort pour combler l’espace d’influence laissé vacant par les Etats-Unis. La Chine exerce aujourd’hui une influence de plus en plus grande en Asie (comme en Afrique), et joue un rôle comparable à celui des Etats-Unis pendant la guerre froide. Quant aux Etats-Unis, ils se sont progressivement désintéressés des organisations régionales qui lui permettaient d’exercer un effet de levier : à part l’alliance américano-japonaise, Washington a délaissé l’APEC, créant un vide qui est aujourd’hui occupé par la Chine. Un pays comme la Corée du sud ou encore les pays de l’ASEAN ont pris leur distance avec la politique américaine et soignent désormais leurs relations avec Pékin. La Chine est au cœur d’institutions qui excluent les Etats-Unis comme la Shanghai Cooperation Organization (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizie, Tadjikistan, Ouzbékistan) ou encore le East Asia Summit (16 pays membres dont les pays de l’ASEAN).
Les Etats-Unis se retrouvent aujourd’hui coincés entre leur alliance militaire avec le Japon (dirigée contre la Chine), et l’importance croissance de leurs relations avec Pékin, devenu l’interlocuteur privilégié sur tous les grands dossiers. Au lieu de s’en tenir à une alliance militaire avec le Japon, Washington serait bien inspiré de relancer une dynamique régionale en Asie, notamment pour éviter que ne se développe une rivalité entre la Chine et le Japon, rivalité qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’avenir du monde.