Quand on parlait des obstacles à la réalisation d’une défense européenne, on avait tendance à regarder vers l’Ouest. Vers la Grande-Bretagne, gardienne de l’orthodoxie atlantique. C’est le verrou britannique qu’il fallait faire sauter si l’on voulait engranger quelques progrès. D’où les efforts ayant mené à la déclaration franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998, qui avait ouvert la voie à la création à Bruxelles du Comité politico-militaire et de l’Etat-major européen.
On a regardé ensuite vers l’Est. Les nouveaux membres de l’Union européenne, de la Pologne aux pays baltes, n’avaient confiance que dans les Etats-Unis pour assurer leur sécurité. Selon la bonne vieille tradition atlantiste, ils soupçonnaient l’idée même d’une défense européenne d’être dirigée contre les Américains.
Une nouvelle logique française
Afin d’apaiser ces craintes, Nicolas Sarkozy a entrepris un rapprochement avec l’OTAN qui devrait ramener la France dans la structure militaire intégrée de cette organisation, que le général De Gaulle avait quittée en 1966. Le raisonnement est simple : si l’on veut construire une défense européenne, il faut le faire avec les Européens et donc être là où se trouvent la plupart de nos partenaires, c’est-à-dire dans l’OTAN. C’était déjà l’argumentation employée par Jacques Chirac et son premier ministre Alain Juppé quand ils tentèrent un retour dans l’OTAN en 1996-1997. La manœuvre échoua alors pour deux raisons : d’une part, la France revendiquait maladroitement un poste de responsabilité dans la chaîne de commandement alliée ; d’autre part, ni les Etats-Unis ni les alliés européens n’étaient en faveur de cette réintégration.
Les temps ont changé. Nicolas Sarkozy a repris la démarche de Jacques Chirac, mais procède dans l’ordre inverse. Le retour dans la structure intégrée de l’OTAN n’est plus considéré comme la condition de développement de la défense européenne mais, à l’inverse, des progrès dans la solidarité européenne apparaissent comme un préalable à la réintégration atlantique. Autrement dit, il revient à nos partenaires européens et aux Américains de faire preuve de leur bonne volonté, c’est-à-dire de leur disponibilité à encourager une politique européenne de défense, avant que la France ne franchisse le pas. Si ce n’était pas le cas, il apparaîtrait alors que le rapprochement de la France avec l’OTAN est vain et que, rien fondamentalement n’a changé dans la volonté des Etats-Unis de maintenir leur hégémonie sur l’Alliance atlantique et sur ses membres européens. Pour ne pas risquer de se perdre dans une bataille symbolique, Sarkozy n’érige pas la distribution des postes en test de la bonne volonté américaine, comme l’avait fait Jacques Chirac, même s’il n’en pense pas moins. Il sera temps, dans une deuxième étape, de revendiquer une meilleure répartition des responsabilités.
Circonstances favorables
La France jugera des progrès accomplis à l’issue de sa présidence de l’Union européenne à la fin de cette année. Mais les circonstances paraissent plus favorables qu’il y a une dizaine d’années. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’entretien que le ministre polonais de la défense, Bogdan Klich, a donné à l’International Herald Tribune du 25 avril : « Nous sommes favorable à une rôle plus important pour la défense européenne, et ceci inclut l’existence d’un quartier général militaire (…) Ceux qui disent qu’il y a une contradiction entre la loyauté atlantique et la loyauté européenne ont tort. Nous essayons de combiner les deux. » Ce ton nouveau de la part des autorités de Varsovie laissent à penser que les apaisements données par la France commencent à convaincre nos partenaires, même ceux qui passent pour les plus alignés sur Washington.
Il est vrai que George W. Bush, qui a bien besoin de quelques succès en politique étrangère, a levé les derniers scrupules de ses partisans européens. Au sommet de l’OTAN à Bucarest, au début du mois d’avril, il a déclaré : « l’Europe de la défense est une nécessité », tandis que son secrétaire à la Défense, Robert Gates, reconnaissait s’être trompé dans le passé sur la nature et les dangers de la politique européenne de défense.
La France a énoncé quelques critères qui permettront de juger dans les prochains si cette bonne volonté est suivie d’effets : la création d’un quartier général européen à Bruxelles ou d’un centre de planification opérationnel qui fait l’objet de polémiques depuis des années ; les progrès de l’Agence européenne d’armements, la création d’un centre de surveillance de la sécurité maritime et la mise au point d’une stratégie européenne de sécurité… Si sur tous ces points des avancées significatives sont enregistrées, la France pourra envoyer quelque 800 officiers à l’état-major de l’OTAN à Mons.