Die Linke et le nouveau paysage politique allemand

Dimanche 18 janvier, les habitants du Land de Hesse votent pour la deuxième fois en moins d’un an pour élire leur parlement régional. La question de savoir si Die Linke, un parti à gauche de la gauche, dépassera une nouvelle fois la barre des 5% requis pour avoir des députés, est un des enjeux importants du scrutin. Plus généralement, le système politique allemand pourrait être profondément transformé à long terme si un cinquième parti s’installe durablement.

2009 est l’année d’un marathon électoral en Allemagne : des scrutins dans cinq des seize Länder, les élections européennes, l’élection du président de la République fédérale et finalement les élections législatives pour le Bundestag le 27 septembre. Ces élections pourraient bien provoquer un changement du paysage politique, avec l’entrée dans les parlements des anciens Länder de l’ouest du nouveau parti de la gauche radicale Die Linke.

Mécontentement social

Ce parti est le résultat de la fusion de l’ancien PDS (Parti du socialisme démocratique), successeur du SED, le parti unique de la défunte République démocratique allemande (RDA) avec un parti nouvellement fondé dans l’ancienne RFA, l’Alternative électorale pour la justice sociale (WASG). Ce parti s’était formé à la suite des mesures néolibérales imposées par la coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts sous la direction de Gerhard Schröder et surtout de sa législation sociale qui a détruit une grande partie des acquis sociaux de l’après-guerre. Le recrutement de la WASG s’est effectué chez les sociaux-démocrates de gauche et surtout parmi les syndicalistes échaudés par les mesures du gouvernement qui précéda pendant huit ans la grande coalition entre les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates (CDU-CSU) dirigée par Angela Merkel.

A la tête de la WASG se trouvait le sarrois Oskar Lafontaine, ancien président du SPD. Aux dernières élections parlementaires de 2005, la WASG et le PDS ont constitué une liste commune et ont réussi à emporter 53 sièges au Bundestag, contre 51 pour les Verts et 61 pour les libéraux (FDP). En juin 2007, la WASG et le PDS ont fusionné et formé le parti Die Linke. Aux élections régionales qui ont suivi, ce parti a réussi à dépasser le seuil de 5% nécessaire pour avoir des élus, à Brême, en Basse-Saxe et en Hesse. Ce n’est qu’en Bavière que le nouveau parti a échoué à passer le seuil nécessaire des 5%, avec 4,4% des suffrages. 

Ces résultats montrent que le système politique allemand est en train de subir un changement fondamental et sans doute durable, avec cinq partis représentés dans les parlements régionaux, comme au Bundestag, une nouveauté dans la vie politique allemande qui avait, pendant des décennies, connu un système tripartite (chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates et libéraux) avant l’apparition des Verts dans les années 1980.

Au-délà du "spectre communiste"

Ce changement a provoqué un trouble profond dans les partis « établis ». Les chrétiens-démocrates autant que les sociaux-démocrates et les libéraux, un peu moins les Verts, considèrent que la République est en danger, menacée par le « danger communiste », un spectre qui persiste dans la culture politique allemande depuis les temps du premier chancelier Adenauer.

A y regarder de plus près, cette réaction qui frise parfois l’hystérie semble bien exagérée. En Hesse, la région qui entoure Francfort sur le Main, elle a conduit à une situation absurde : il y a été impossible de former un gouvernement pendant une toute année parce que la présidente du SPD local, Andrea Ypsilanti, rejetait une grande coalition avec l’ancien chef de gouvernement Roland Koch, un représentant de l’aile droite de la CDU, avec qui elle avait pratiquement fait jeu égal. D’un autre côté, quatre députés du SPD refusaient de voter pour une coalition « rouge-vert », parce que celle-ci avait besoin du « soutien sans participation », comme on disait en France sous la IVè République, de la gauche radicale.

Une telle situation aurait certes été une première dans un grand Land de l’Allemagne de l’Ouest mais pas dans l’Allemagne unifiée. Dans le Land de Mecklenbourg-Poméranie, la première coalition entre le SPD et les anciens communistes du PDS date de douze ans déjà, et à Berlin, la ville-Etat est gouvernée pour la deuxième fois de suite par un gouvernement formé par le SPD et le PDS. Le PDS étant bien implanté dans les nouveaux Länder de l’Est, il n’est pas exclu que Die Linke devienne le parti le plus fort en Thuringe où des élections auront lieu prochainement. De plus, nombreuses sont les villes de l’Est qui sont gouvernés par des coalitions entre la CDU et le PDS.

Un parti "post-guerre froide"

La situation est donc paradoxale. Près de vingt ans après l’adhésion de l’ancienne RDA à la RFA, communément appelée réunification, la peur du communisme semble toujours être un argument électoral mais Die Linke, en tant que continuateur du PDS, tire parti du mécontentement lié à la discrimination dont l’Est est victime. Le territoire de l’ancienne RDA a été désindustrialisé ; les salaires — tant dans l’industrie que dans les services publics y sont inférieurs de 15 à 20% par rapport à l’Ouest ; des régions entières se dépeuplent faute d’emplois.

Par ailleurs, les élus du PDS puis de Die Linke ont fait depuis longtemps la preuve de leur loyauté envers les institutions démocratiques, les partis politiques et l’ordre administratif qui leur a été octroyé par l’Ouest. La vraie « provocation » représentée par cette nouvelle gauche est peut-être moins le fait qu’elle soit (co-)présidée par l’ancien président du SPD Oskar Lafontaine mais par le fait qu’elle est le seul parti allemand qui soit « gesamtdeutsch », c’est-à-dire qui ne soit pas d’origine exclusive ouest-allemande (comme les partis classiques) ou est-allemande comme le PDS. Au-delà de ses prises de position sociales et pacifistes, Die Linke met aussi en cause la domination de ceux qui, dans la vie politique intérieure allemande, sont sortis vainqueurs de la guerre froide. C’est ce fait, passé totalement sous silence par la presse allemande, qui trouble le jeu politique traditionnel.