Dix ans de Poutine : un bilan

Il y a dix ans, le président russe Boris Eltsine, après avoir « épuisé » plusieurs premiers ministres dont la durée de vie politique était de plus en plus courte, nommait Vladimir Poutine à la tête du gouvernement. A la fin de l’année 1999, Eltsine démissionnait et faisait du chef du FSB (ex-KGB) à la longue carrière dans les services soviétiques, son successeur à la présidence de la Fédération de Russie. Vladimir Poutine est resté président huit ans puis a remis la fonction présidentielle à Dmitri Medvedev, en 2008, tout en gardant l’essentiel du pouvoir en tant que premier ministre. Article paru le 6 août 2009 dans Moscow Times, traduit de l’anglais par Daniel Vernet. http://www.themoscowtimes.com/article/1016/42/380251.htm

Les Russes adorent célébrer les anniversaires, spécialement les dates rondes, 10, 20, 30 ans, etc. Mais il y a un dixième anniversaire qui offre peu d’occasion de se réjouir. Le 9 août 1999, le président Boris Eltsine, qui était alors physiquement à bout, faible et facilement manipulable, commettait sans doute la plus grande erreur de sa carrière politique : il nommait un nouveau gouvernement dirigé par quelqu’un de pratiquement inconnu, Vladimir Poutine. Plus encore, Eltsine affirmait voir Poutine lui succéder lors de l’élection présidentielle de mars 2000. Peu de temps après que Poutine eut pris ses fonctions de président en mai de cette année-là, il s’empressa de revenir sur la plupart des réformes politiques que Eltsine avait péniblement mises en route au cours de sa carrière.

Culte de la personnalité et bilan déplorable

Le dixième anniversaire de l’arrivée de Poutine au pouvoir est le prétexte à un déferlement de louanges comparables à celles de l’année dernière quand il a fêté son 55ème anniversaire, de la part d’hommes politiques, de gens célèbres, avec ce film « 55 » réalisé par un cinéaste particulièrement servile, sur l’héritage politique gigantesque de Poutine. A son « crédit », Poutine a construit un culte de la personnalité puissant autour de lui grâce surtout à une télévision contrôlée par l’Etat, qui le dépeint à longueur de journée sous des traits positifs dans toutes les circonstances.

Toutefois, derrière cette image glamour, une cote de popularité très haute et le culte de la personnalité, il y a un bilan déplorable. Pendant les années Poutine, le pays a perdu une décennie entière. La Russie a manqué une occasion en or de mettre à profit une longue période où les prix du pétrole étaient élevés, pour se moderniser politiquement et économiquement. Maintenant que nous approchons de la fin de la première décennie du 21ème siècle, la Russie reste engluée dans le siècle passé. L’économie du pays, y compris le budget fédéral, continue d’être dépendante des revenues des exportations de pétrole et autres matières premières. Dix-huit ans après la chute de l’Union soviétique, la Russie manque encore de moyens modernes de communication. De plus, nous subissons un manque désastreux de voies rapides, de gares et d’aéroports modernes.

Capitalisme d’Etat et croissance faible

En fait, l’économie russe a commencé à croître rapidement avant la prise de pouvoir de Poutine quand le prix du baril était à environ 15 $. La croissance a vraiment commencé en 1999, après la dévaluation du rouble de l’année précédente. Mais dans les années du vrai pouvoir de Poutine, quand le prix du pétrole approchait 100 $ le baril, dépassant les pronostics les plus audacieux, le taux de croissance de l’économie a commencé à décliner année après année. Dans le même temps, la croissance dans des pays pétroliers comparables, comme l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, était deux à trois fois supérieure.

Poutine a pratiquement consacré ses premières années en tant que président à la guerre en Tchétchénie, à la lutte avec quelques oligarques, à la construction de sa « verticale du pouvoir », à la désignation de fidèles à des postes clés du gouvernement et à la mise en place d’un contrôle sur les plus grands médias.

Les réformes économiques, incluant la création d’un fonds de stabilisation, l’adoption d’un nouveau code rural et de nouvelles lois sur le travail, de même que la réforme des monopoles sur les ressources naturelles, toutes ces réformes ont commencé sous l’ancien premier ministre aujourd’hui en disgrâce, Mikhaïl Kasyanov. Après le limogeage de ce dernier, les réformes se sont arrêtées et un nouveau cours vers un capitalisme d’Etat a été lancé par Poutine.

L’échec de la voie autoritaire

En politique intérieure, Poutine a tourné le dos aux principes démocratiques en faveur de l’autoritarisme. Année après année, la Russie s’est retrouvée au plus bas sur l’échelle des pays les plus corrompus et les moins démocratiques. La deuxième guerre de Tchétchénie, par laquelle Poutine a inauguré son règne, s’est transformée de facto en défaite pour la Russie. La petite République est devenue le fief personnel de son président Ramzan Kadyrov et elle jouit d’une indépendance dont le premier président tchétchène Djokhar Doudaïev, ou le troisième président, Aslan Maskhadov n’auraient même pas pu rêver. La Tchétchénie vit selon ses propres lois non écrites, tandis que la Russie participe à cette mascarade en versant indéfiniment de l’argent tiré du budget fédéral.

Le résultat de la politique extérieure de Poutine au cours des dix dernières années apparaît tout aussi déprimant. Les tentatives de Moscou d’utiliser « l’arme énergétique » dans ses relations avec l’Occident a eu pour seul résultat d’obliger l’Union européenne à réformer son propre marché du gaz en cherchant des ressources énergétiques alternatives, y compris le gazoduc Nabucco.

Tout espoir de remettre à plat les relations Etats-Unis-Russie, ainsi que l’envisageait Moscou – autrement dit, la Russie aiderait les Etats-Unis en Afghanistan, en échange de quoi les Américains cesseraiennt de soutenir la candidature à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine —, s’est effondré. Les récentes visites à Kiev et à Tbilissi du vice-président Joe Biden ont clairement montré que Washington n’est pas disposé à tourner le dos à ces deux pays.

Il est difficile de nommer un seul pays avec lequel les relations de la Russie se sont améliorées au cours des dix dernières années. Même le président biélorusse Alexandre Loukachenko, traditionnellement le plus proche allié de Moscou, a commencé à s’éloigner de la Russie et à regarder vers l’Ouest.

Avec la crise économique, le Kremlin a le choix entre deux politiques : il peut soit serrer encore plus la vis, ou il peut libéraliser progressivement du sommet vers le bas. Il serait rassurant de croire que les autorités vont choisir la deuxième voie. Malheureusement, l’histoire russe a montré que chaque fois que les dirigeants du pays se sont trouvés placés dans une situation de ce genre, ils ont choisi la manière forte, malgré le fait que le résultat a toujours été une dégradation de la situation.

Et aujourd’hui, alors qu’on ne peut pas écarter l’éventualité d’une nouvelle guerre avec la Géorgie, il nous revient à l’esprit la « guerre rapide et facile » contre le Japon en 1904-1905. Le tsar Nicolas II a commencé la guerre avec le slogan selon lequel la guerre épargnerait à la Russie une révolution. Mais après la défaite, la révolution est exactement ce qu’il a obtenu, en 1905 et en 1917.