Dix propositions pour un nouvel équilibre mondial

Le Cercle des économistes consacre chaque année en juillet á Aix-en-Provence un week-end de travail et de réflexion à un thème de débat économique d’actualité. Nous publions ici la déclaration finale des Rencontres qui se sont tenues du 3 au 5 juillet 2009. Source : http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr

La tentation est grande, en cet été 2009, d’espérer une sortie rapide des difficultés économiques actuelles et d’imaginer que l’organisation des relations économiques mondiales puisse se maintenir, à quelques modifications institutionnelles près. C’est la thèse du « business as usual ».

L’ambition du Cercle des économistes, à travers ces 9e rencontres, est de se démarquer nettement de cette vision rassurante, inopérante et dangereuse dans la mesure où elle ne permet pas d’imaginer et de mettre en place les réformes institutionnelles et les coordinations indispensables à l’émergence d’un nouveau modèle de croissance. Par ailleurs, et contrairement au sens commun, cette période peut être tout à fait favorable à la France.

L’année dernière, nous avions mis en évidence la fin d’un cycle de croissance. Aujourd’hui, nous parlons de ruptures et de transformations radicales de l’économie mondiale. Si on ne trouve pas des cadres adaptés de négociation, et cela sur tous les sujets de tension économique internationale, on ne peut en aucun cas imaginer une reprise de l’économie mondiale avant plusieurs années, peut-être plus de trois. Les dommages en seront terribles, notamment pour les pays européens, le nôtre, et plus encore pour les pays les moins avancés. Répondre par des demi-mesures risque d’accroître pauvreté, chômage ainsi que populisme, et de déboucher sur des événements tragiques, tels que conflits et crises alimentaires.

Le constat : un monde frappé par des chocs economiques simultanés

Phénomène unique au cours des deux derniers siècles, le monde a été frappé par quatre chocs économiques aux effets cumulatifs : crise monétaire ; apparition de conflits latents entre pays émergents et pays de l’OCDE ; transformation d’une ampleur inattendue des demandes des consommateurs ; vieillissement de la population mondiale qui s’accompagne de transformations du marché du travail, des conditions de collecte et de gestion de l’épargne, du fonctionnement du marché des biens et services et évidemment des équilibres de protection sociale.

Tout cela autorise à comprendre et prévoir, pour les six mois à venir, l’évolution probable de l’économie mondiale mais marque du sceau de l’inconnu la reprise ou non de celle-ci au cours du second semestre 2010. En ce début juillet, l’assainissement des comptes des systèmes bancaires a été partiellement mais insuffisamment réalisé, notamment en Europe, et aucune régulation à l’échelle mondiale ne permet de penser que l’on puisse éviter une réédition de chocs systémiques.

Les plans de soutien, notamment celui de l’économie américaine, et les effets d’un arrêt temporaire du déstockage, entraîneront un rebond mécanique des économies américaine et européenne au dernier trimestre 2009 et au premier trimestre 2010. Au-delà, rien ne garantit une croissance à nouveau auto-entretenue de l’économie mondiale que l’on peut souhaiter mais dont on ne peut affirmer avec certitude qu’elle s’imposera. La situation est grave et appelle la prise de décisions drastiques.

Les propositions du Cercle des Economistes

Le Cercle est sensible aux craintes de ceux qui annoncent une reprise de l’inflation et des difficultés majeures dans la viabilité des finances publiques. Il est cependant convaincu que ces craintes n’enlèvent rien à la nécessité d’une réponse audacieuse à la crise. Ces relances doivent être explicitement temporaires dans leur conception et dans leurs effets. Leur nécessité renforce l’importance de penser les réformes structurelles indispensables pour la viabilité des finances publiques. Les problèmes structurels que nous connaissions avant la crise ne doivent pas nous empêcher de répondre aux exigences de la conjoncture.

Au niveau mondial

Proposition 1
Le G20 doit être institutionnalisé, avec un secrétariat permanent, et surtout être instauré comme l’instance de coordination économique à l’échelle mondiale à la place du G7/G8. Il devra être réformé, y compris en ce qui concerne le nombre de ses membres, pour être plus efficace et prendre en charge également les problèmes de commerce, de change et de stabilisation du prix des matières premières. Sur le plan du commerce, face aux nouvelles menaces protectionnistes, le G20 doit demander à l’OMC de reprendre immédiatement le cycle de Doha avec un agenda modifié qui intègre notamment les transferts de technologie ainsi que les clauses sociales et environnementales. En ce qui concerne les matières premières, le marché à terme du pétrole doit être régulé plus étroitement encore que les autres marchés de gré à gré, compte tenu de son impact sur l’approvisionnement des économies du Nord comme du Sud. La volatilité du marché du pétrole est le serpent de mer des sommets du G8 ; personne ne s’y attaque sérieusement et c’est un risque majeur pour la reprise.

Proposition 2
Le renforcement de la régulation bancaire et financière engagé à Londres en avril dernier doit être enfin concrétisé. La « fenêtre de tir » offerte au G20 ne dépasse pas la fin de l’année 2009. Le consensus entre les pays anglo-saxons et le reste du monde est fragile, et disparaîtra à cet horizon. Il faut notamment suspendre et repenser toutes les dispositions réglementaires pro-cycliques telles que les normes IFRS, Bâle II et Solvency II. Les décisions du G20 de Londres, recherchant un « level playing field » sur les rémunérations, les exigences en capital et le comportement des banques contrôlées par l’Etat, devront, dans ce contexte, être mises en œuvre rapidement.

Proposition 3
Il faut installer plus explicitement, dans leurs fonctions d’anticipation et de résolution des déséquilibres financiers, le FMI et le Conseil de Stabilité Financière. Le FMI doit également modifier la répartition de ses droits de vote en l’alignant sur la réalité du poids des économies qui sont représentées dans ces institutions

Proposition 4
Tout cela nous conduit à appeler solennellement à la tenue, à la fin du premier trimestre 2010, et cela à un tournant conjoncturel crucial, d’une Conférence internationale refondant les règles de la gouvernance mondiale : la CONFERENCE DE LA RENAISSANCE. En effet, le Cercle des économistes estime qu’une initiative décisive est indispensable pour permettre au G20 d’être désormais le lieu de confrontation et de résolution des conflits à l’échelle mondiale.

Pour préparer cette Conférence, le G20 doit :

1) imaginer de nouveaux instruments de stabilisation des zones monétaires permettant une répartition plus équilibrée des réserves de change des banques centrales ;

2) lancer les travaux d’analyse des besoins mondiaux à l’horizon 2015 en matière énergétique et agroalimentaire, et mettre en place des dispositifs de production améliorant l’équilibre offre-demande sur ces marchés ;

3) concevoir de nouveaux mécanismes de transfert des flux publics de financement vers les pays du Sud en compensation des flux privés, avec pour objectif de doubler en cinq ans l’aide publique au développement ;

4) prendre en charge la mise en œuvre des engagements qui seront pris pour l’après-Kyoto lors de la conférence de Copenhague en décembre prochain, notamment sur le plan financier et concernant une meilleure gestion du climat, bien collectif mondial.

Proposition 5
Sur le plan conjoncturel, le G20 doit veiller à ce que soit respecté un impératif : ne pas relever les taux d’intérêt avant que la croissance ne soit revenue durablement au-dessus de son niveau potentiel, c’est-à-dire au plus tôt fin 2010.

Au niveau européen

Proposition 6
Face à la dégradation brutale des marchés du travail nationaux, l’Union européenne se doit de renforcer les plans de soutien, et cela de manière coordonnée. C’est l’occasion de mettre réellement en activité la stratégie de Lisbonne qui fut l’échec de la dernière décennie. Cela nécessite une coordination renforcée, à organiser entre grands pays européens, en matière d’infrastructures, de recherche et développement, d’organisation des systèmes d’enseignement supérieur, et d’investissements dans les secteurs porteurs (énergie, numérique, agro-alimentaire, eau, transports, déchets, biotechnologies).

Proposition 7
Pour renforcer l’Union européenne et les pays qui lui sont associés, il faut bâtir dès aujourd’hui, autour de la zone euro, une nouvelle architecture monétaire et donner à la Banque Centrale Européenne, en coordination avec l’Eurogroupe, les moyens d’une gestion active du taux de change. L’Europe sera, en effet, confrontée à très court terme à un besoin d’organisation renforcée au-delà de la zone euro au sens strict, que le traité de Maastricht autorise par des ancrages entre monnaies.

Proposition 8
A court terme, nous souhaitons l’organisation et la publication rapides de véritables « stress tests » bancaires européens, pour contribuer à rétablir la confiance dans le système financier – banques et assurances.

Au niveau français

Pour la France, cette crise est un moment de vérité et peut-être une chance. La situation est caractérisée par une relative perte de compétitivité, incontestable dans la dernière décennie, et par un nombre très important de pauvres et d’exclus. Par ailleurs, dans l’ensemble des secteurs porteurs d’activité évoqués précédemment, ceux de l’avenir, la France dispose de compétences scientifiques et techniques de premier plan, et de groupes d’envergure mondiale aux toutes premières places.

Au cours du dernier trimestre 2009 et du premier trimestre 2010, la priorité de la politique économique doit être de relancer massivement l’investissement dans notre pays, ce qui ne fut pas le cas au cours des années précédentes. L’affectation de l’Emprunt doit être l’occasion d’une grande rigueur méthodologique et d’un consensus entre les acteurs. Cela concerne notamment les secteurs à privilégier, les types de financement et les modalités d’investissement envisagés. Le financement des secteurs considérés comme porteurs et le développement des capacités de recherche avec des principes de long-terme et de rentabilité normaux permettront le remboursement des emprunts et devraient être gérés par des institutions spécifiques – agences – dédiées chacune aux secteurs considérés. Ne nous y trompons pas, les décisions prises détermineront la trajectoire de croissance française pour les vingt ans qui viennent.

Proposition 10
Le quart des moyens consacrés à la relance doit être affecté à la mise à niveau de l’ensemble du système d’enseignement supérieur et de recherche. Cela constitue un pas en avant déterminant dans la résolution du problème du chômage des jeunes, mais insuffisant notamment pour le chômage des jeunes qualifiés. L’ensemble des dépenses des politiques de l’emploi doit être remis à plat, de manière à consacrer l’essentiel des marges de manœuvre disponibles au défi de l’exclusion – faiblesse des qualifications, trappes à pauvreté et à inactivité – qui appelle des politiques d’accompagnement et de réinsertion, telles que la politique du RSA. Tout n’est pas financier : il faut aller beaucoup plus loin, en France comme en Europe, dans la généralisation de la sécurisation des parcours professionnels.

Dans ce contexte, l’heure est plus que jamais à la poursuite des réformes structurelles.