Economie : une tâche colossale

Barack Obama a fait de la lutte contre le déclin économique sa priorité numéro un pour ses cent premiers jours à la Maison blanche. Tout doit aller très vite si les Etats-Unis veulent retrouver la voie de la croissance et de l’emploi, dans un contexte de grave récession, avec un système financier à l’agonie, un effondrement du marché immobilier et un grave creusement des déficits.

Le Congrès travaille sur un plan de relance de 825 milliards de dollars (qui s’ajoute au plan Paulson de 700 milliards de dollars). Le plan Obama combine investissements dans les infrastructures (550 milliards de dollars) et baisses d’impôts (275 milliards).

Ce plan devrait être voté avant la fin de février, si tout se passe conformément aux projets de la nouvelle administration américaine. Par chance, le climat politique aux Etats-Unis semble favorable aux initiatives bi-partisanes, devant l’ampleur de la crise, et le capital politique du nouveau président est considérable. « La première tâche de mon administration sera de redonner du travail aux gens et de remettre l’économie sur les rails", disait Barack Obama en visite dans l’Ohio vendredi 16 janvier. « Jobs, jobs, jobs » : tel est l’objectif de la nouvelle administration, résumée par Rahm Emanuel, futur secrétaire général de la Maison Blanche.

Les États-Unis ont détruit un demi-million d’emplois en décembre 2008, portant à 7,2% le taux de chômage. L’an dernier, les États-Unis ont supprimé 2,6 millions d’emplois, du jamais vu depuis 1945. Pour 2009, le consensus des économistes table sur un recul de 1,6% du PIB américain. Une baisse de cette amplitude serait la pire contre-performance annuelle depuis 1982.

Le plan de relance américain suscite beaucoup d’interrogations.

Est-il suffisant ?

La taille du plan du président Obama est beaucoup plus importante que celle des plans de relance européens : près de 6 % du PIB, contre moins de 2 % pour le plan français. Et pourtant beaucoup d’économistes se demandent si ce plan sera suffisant.

Une étude publiée le 10 janvier, consacrée à "l’impact sur l’emploi du plan de redressement et de réinvestissement américain" a été présentée par Christina Romer, qui a été nommée à la tête du Conseil d’analyse économique américain, et de Jared Bernstein, son nouveau vice-président. Le rapport prévoit que le plan de relance devrait ramener le taux de chômage à 7% à la fin du quatrième trimestre 2010. Mais ce taux a déjà atteint 7,2% en décembre 2008. Il est probable que les suppressions d’emplois en 2009 seront au moins équivalentes aux 2,6 millions de suppressions de 2008. L’objectif de 3,7 millions de nouveaux emplois sur les deux prochaines années pourrait donc bien n’être pas suffisant.

Est-il bien conçu ?

Barack Obama veut mettre l’accent sur les infrastructures : 60 % des fonds publics injectés dans l’économie seront destinés à la construction ou à la rénovation des routes, ponts et établissements administratifs (écoles), mais aussi à la remise à niveau des installations énergétiques du pays et au développement des énergies renouvelables. Une politique de grands travaux conçue pour relancer l’économie américaine sur de nouvelles bases.

Mais beaucoup d’observateurs s’interrogent sur la pertinence des choix qui seront faits à Washington, notamment au cours des négociations au Congrès, et se demandent si les élus du Congrès sauront faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers de leur région.

« A trillion dollars’ worth of bad ideas—sprawl-inducing highways and bridges to nowhere, ethanol plants and pipelines that accelerate global warming, tax breaks for overleveraged McMansion builders and burdensome new long-term federal entitlements—would be worse than mere waste. It would be smarter to buy every American an iPod, a set of Ginsu knives and 600 Subway foot-longs (…) Lobbyists for shoe companies, zoos, catfish farmers, mall owners, airlines, public broadcasters, car dealers and everyone else who can afford their retainers are lining up for a piece of the stimulus. States that embarked on raucous spending and tax-cutting sprees when they were flush are begging for bailouts now that they’re broke. And politicians are dusting off their unfunded mobster museums, waterslides and other pet projects for rebranding as shovel-ready infrastructure investments », écrit Michael Grunwald dans Time (daté 26 janvier 2009).

Gary Becker, prix Nobel d’économie et professeur à l’Université de Chicago, souligne pour sa part que "l’impact réel de tous ces programmes gouvernementaux risque d’être limité car ils ont été ficelés à la hâte, seront tous mis en oeuvre en même temps dans la précipitation, et déboucheront probablement (...) sur beaucoup d’inefficacités" (source : blog de Gary Becker et Richard Posner, http://www.becker-posner-blog.com/).

Par ailleurs, les contours d’une réforme du système financier n’ont pas encore été dessinés.

« The US needs a huge fiscal boost ; but it also needs the financial system reformed at home and abroad, about which Obama has said too little”, écrit Will Hutton dans The New Statesman (19 janvier 2009).

L’enjeu des déficits

Le grand sauvetage (bailout) de l’économie américaine va coûter très cher, ce qui pourra provoquer des années de déficits à un niveau record si les Etats-Unis ne décident pas d’augmenter les impôts. Un plaidoyer de Jeffrey Sachs en ce sens a été publié le 19 janvier dans le magazine Time : 

We need a sensible strategy that deals with the present crisis while preparing for the future. We need more government, and to pay for it we’ll need to raise taxes relative to GDP over time. (…) President-elect Obama inherits the worst economic crisis since the Great Depression : the financial sector is in ruins ; the budget is hemorrhaging red ink ; debt-ridden households have clamped down on spending, thereby pulling the rug out from under the economy ; unemployment is soaring ; the country is in two wars ; and the unmet social and environmental needs are vast. These conditions demand a fundamental realignment in strategy that ultimately comes back to taxation : Will we pay for the government we need ? »

Escaping from huge and prolonged deficits will be very hard » ajoute pour sa part Martin Wolf dans le Financial Times du 14 janvier, qui fait un parallèle intéressant avec la situation budgétaire de la Grande-Bretagne à la fin des années napoléoniennes :

At the end of the Napoleonic wars, the UK had a ratio of public debt to GDP of 270 per cent. This was brought down over a century : growth, the gold standard and the commitment to balanced budgets did the trick”.

La nouvelle administration Obama devra donc tout à la fois agir vite, cibler les dépenses et créer les conditions d’une baisse future des déficits du pays, tant publics que privés. Une tâche colossale.