Elections : les pro-Russes devancent les pro-Européens

 Le Parti des régions devance ses concurrents aux élections du 28 octobre. Mais l’opposition progresse. Le cas de Ioulia Timochenko, l’ancienne première ministre aujourd’hui emprisonnée, continue de susciter les passions tandis que les relations avec l’Union européenne sont au centre des débats.

 

 Ancien ambassadeur d’Ukraine à Washington, Oleh Shamshur reçoit à dîner dimanche 28 octobre, au soir des élections législatives, dans un restaurant de Kiev célèbre pour ses raviolis appelés « varenniki », quatre journalistes européens, dont l’envoyé spécial de Boulevard-Extérieur, invités en Ukraine par le German Marshall Fund. Les bureaux de vote viennent de fermer. Les premiers sondages effectués à la sortie des urnes, qui concernent les sièges attribués à la proportionnelle, soit 225 sur 450, commencent à circuler dans les états-majors des partis. Les appels téléphoniques se succèdent. Le visage de l’ambassadeur s’assombrit. Selon les premiers chiffres, les résultats de l’Alliance démocratique ukrainienne pour les réformes, conduite par un ancien champion du monde de boxe, Vitali Klitschko, ne sont pas aussi bons qu’il l’espérait.

 

 Oleh Shamshur est le conseiller de Vitali Klitschko pour les affaires étrangères. Le parti du boxeur, dont le sigle, UDAR, signifie « coup », est la révélation de la campagne. Mais, avec 15 % des voix dans les sondages à la sortie des urnes, il est assez loin derrière les deux grandes forces qui se partagent l’électorat : le Parti des régions, du président Viktor Ianoukovitch, crédité d’environ 30 % des voix, et Patrie, l’alliance de l’opposition placée sous le patronage de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko, emprisonnée pour corruption, qui recueille environ 25 % des suffrages. Les mêmes sondages indiquent une percée des communistes à gauche et des nationalistes à droite.

 

 Au terme du dépouillement, et dans l’attente de la répartition des sièges au Parlement après publication des résultats du scrutin uninominal, les chiffres des sondages réalisés à la sortie des urnes sont, à peu de choses près, confirmés : le Parti des régions, avec environ 30 % des voix, recule de plusieurs points par rapport au élections de 2007 ; l’alliance de l’opposition, avec 25 %, perd également quelques points. Le parti de Vitali Klitschko obtient 13,7 % des suffrages, c’est-à-dire moins que ne le laissaient prévoir les premiers chiffres, mais l’ambassadeur Oleh Shamshur a néanmoins quelques raisons d’être satisfait : UDAR est bien le troisième parti sur l’échiquier politique, devançant de peu les communistes (13,3 %) et les nationalistes (10,2 %). En s’alliant avec le parti de Ioulia Timochenko, il peut constituer une opposition crédible au Parti gouvernemental.

 

 Les relations avec l’Union européenne

 

 L’un des principaux enjeux du scrutin législatif est l’avenir des relations entre l’Ukraine et l’Union européenne. L’accord d’association qui devait être conclu entre les deux parties est gelé depuis la condamnation de Ioulia Timochenko. Les principaux dirigeants ukrainiens, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, souhaitent que le texte soit enfin signé puis ratifié. Ils considèrent que la modernisation du pays passe par une étroite coopération avec l’UE. Mais celle-ci pose deux conditions. La première est que l’Ukraine respecte les exigences de la démocratie, notamment en organisant des élections irréprochables. La seconde est qu’elle choisisse clairement l’Europe contre la Russie.

 

 Un scrutin irréprochable ? Beaucoup en doutent. L’opposition dénonce une fraude massive. Plusieurs ONG spécialisées dans la défense des libertés parlent d’achats de votes, de pressions, d’intimidations. L’OSCE évoque « un recul de la démocratie ». Le gouvernement rejette ces accusations. Il fait observer qu’en dépit de ses critiques l’OSCE ne conteste pas la validité des élections. Le lendemain du vote, plusieurs observateurs internationaux sont venus dire, au cours d’une conférence de presse organisée par le ministère des affaires étrangères, qu’ils n’avaient rien remarqué d’anormal dans les bureaux de vote le jour du scrutin mais, comme l’a dit l’un d’eux, ils ne savent rien de ce qui a pu se passer avant, c’est-à-dire pendant la campagne, et après, c’est-à-dire lors du dépouillement.

 

 Le cas Timochenko

 

 Les autorités attribuent les critiques internationales à la condamnation et à l’emprisonnement de Ioulia Timochenko. Les Occidentaux ne seront jamais satisfaits, explique un porte-parole du ministère des affaires étrangères, tant que Ioulia Timochenko restera en prison. Ils en ont fait, selon lui, un test du respect de la démocratie en Ukraine. Le sort de l’ancienne première ministre, qui vient d’annoncer qu’elle entamait une grève de la faim, est bien au cœur des controverses. Les représentants du gouvernement s’efforcent de démontrer que le dossier est accablant et que l’opposition veut à tout prix transformer une affaire judiciaire en affaire politique. Les partisans de Ioulia Timochenko balayent cette objection en répétant que celle-ci est bel et bien une prisonnière politique.

 

 Arsenyi Yatseniuk, chef de file de l’opposition en l’absence forcée de Ioulia Timocheno, demande que celle-ci bénéficie d’une amnistie. Il affirme que sa responsabilité comme première ministre dans la signature du contrat gazier avec la Russie, qui lui est aujourd’hui reprochée, était politique, et non criminelle. Leonid Kozhara, un des porte-parole du parti gouvernemental, maintient que la décision de la poursuivre en justice n’était pas politique et qu’elle a abusé de ses pouvoirs de premier ministre. Il reproche aux Occidentaux de faire de Ioulia Timochenko un « symbole » et de prétendre ensuite qu’on ne met pas un symbole en prison. Le conflit reste entier : pour le moment, rien n’annonce un geste du pouvoir pour tenter de le débloquer.

 

 Bruxelles ou Moscou ?

 

 

 L’autre grande question qui se pose à l’Ukraine est celle de sa relation avec la Russie, qui commande l’avenir de sa coopération avec l’Union européenne. Le Parti des régions, dont la base électorale se trouve à l’Est du pays, est considérée comme pro-Russe tandis que les partis d’opposition, bien implantés dans l’Ouest, sont davantage tournés vers l’Europe. Les élections de 2012 confirment une fois de plus ce partage. Valeriy Chalyi, directeur adjoint du Centre Razumkov, un « think tank » ukrainien, affirme que le pays a aujourd’hui le choix entre deux formes d’intégration, entre « deux chemins », l’un qui le conduira vers l’Union européenne, l’autre qui l’unira à la Russie. Les considérations économiques, dit-il, ne sont pas les seules qui doivent être prises en compte, il s’agit d’un « choix de civilisation » entre deux systèmes de valeurs et deux méthodes de coopération.

 

 Dans l’immédiat, Moscou veut que l’Ukraine devienne membre de l’Union douanière qui réunit déjà le Kazakhstan, la Biélorussie et la Russie. Pour Vladimir Poutine, ce rassemblement des anciens Etats de l’ex-URSS est le premier pas vers l’Union eurasienne dont il rêve. Les Ukrainiens n’en veulent pas. L’opposition en a fait son cheval de bataille. « L’intégration européenne est une priorité absolue », déclare Vitalii Kovalchuk, au nom du parti UDAR. Pour Arsenyi Yatseniuk, chef de file de l’alliance réunie autour de Ioulia Timochenko, « la question est de savoir si nous reprenons les négociations avec l’Union européenne ou si nous retournons vers l’Union soviétique ». Son choix est clair : oui à l’UE, non à l’Union douanière avec la Russie. Plus l’opposition sera forte, explique-t-il, plus sera forte la résistance aux pressions de Vladimir Poutine.

 

 Officiellement le gouvernement ne dit pas autre chose. « Nous ne voulons pas mettre nos pas dans ceux de Vladimir Poutine », affirme-t-on au ministère des affaires étrangères. « Notre relation avec la Russie doit être étroite et amicale mais sur un pied d’égalité », déclare Leonid Kozhara. Sergii Tigipko, vice-premier ministre, le répète avec force : « Notre choix, c’est l’Europe ». La majorité des Ukrainiens, dit-il, pensent que « c’est le meilleur choix ». Pour l’opposition, ces déclarations ne sont qu’un rideau de fumée. « Comment voulez-vous que nous leur fassions confiance ? », s’écrie Arsenyi Yatseniuk. Selon lui, le gouvernement dit ce que les Occidentaux ont envie d’entendre mais agit autrement. « En fait, ils ne partagent pas les valeurs européennes », soutient Arsenyi Yatseniuk.

 

 Les débats seront vifs au sein du nouveau Parlement. Prochain affrontement électoral : l’élection présidentielle de 2015. « La campagne présidentielle a commencé le soir même des législatives », souligne Vitalii Kovalchuk. Son chef de file, Vitali Klischko, apparaît d’ores et déjà comme un candidat sérieux. Il se présente comme un homme nouveau, même s’il a déjà derrière lui quelques années de politique. Il passe pour honnête, ce qui est un atout dans un pays miné par la corruption. Il peut profiter de la baisse de popularité de Viktor Ianoukovitch, affaibli par la crise économique et accusé de népotisme, ainsi que de l’absence de Ioulia Timochenko. A moins que le président sortant ne trouve d’autres moyens pour se maintenir au pouvoir, comme le craignent certains de ses adversaires.