Comment mettre fin à la guerre en Ukraine ? Depuis le commencement de l’invasion russe, on ne voit que deux issues au conflit : la défaite de la Russie ou celle de l’Ukraine. Deux hypothèses qui sont l’une et l’autre également incertaines, malgré les déclarations des deux parties. Kiev demande à Moscou de retirer ses troupes des territoires qu’elles occupent en Crimée et dans le Donbass, tandis que Moscou veut mettre Kiev sous tutelle en continuant de bombarder le pays. Pour le moment, ni l’Ukraine ni la Russie ne paraissent en mesure de parvenir à leurs fins. L’admirable résistance de l’armée ukrainienne contrarie l’offensive russe mais ne suffit pas à faire céder Moscou. Le rapport des forces peut certes changer si la contre-offensive ukrainienne réussit. Toutefois le conflit semble bloqué.
Aussi une troisième hypothèse est agitée par certains : l’élimination de Vladimir Poutine. Quel que soit celui qui serait appelé à le remplacer, il serait, disent-ils, plus libre que l’actuel chef du Kremlin pour s’engager dans une négociation de paix. Vladimir Poutine, en effet, ne peut accepter de renoncer à ses conquêtes sans perdre son crédit et son autorité. Son successeur serait probablement mieux placé, on n’ose écrire mieux armé, pour sortir le conflit de l’impasse. Il pourrait choisir de finir la guerre en jugeant que celle-ci ne peut pas être gagnée par la Russie sans contribuer à ruiner le pays. Même un nationaliste plus va-t-en guerre encore que Vladimir Poutine pourrait par réalisme renoncer à une opération qui n’apporte à la Russie que des déboires. Un nouveau président ne serait tenu ni par les engagements de son prédécesseur ni par sa rhétorique guerrière.
Attaques sur Belgorod
Reste à savoir comment se débarrasser de Vladimir Poutine. Les uns n’hésitent pas à envisager son assassinat. Les deux groupes de combattants russes pro-Kiev qui ont attaqué récemment les Russes à Belgorod ont pour ambition de prendre le pouvoir à Moscou par la force. Ces deux milices – le Corps des volontaires russes de Denis Nikitine et la légion Liberté de la Russie d’Ilia Ponomarev – ne cachent pas leur ambition de renverser le régime de Vladimir Poutine par les armes. Ilia Ponomarev, ancien député, chef politique de la légion Liberté de la Russie, va jusqu’à dire, selon Le Monde, que son groupe s’est donné pour objectif de « détruire l’empire russe et tuer Poutine ». Denis Nikitine, combattant d’extrême droite, chef du Corps des volontaires russes, appelle la population à se soulever contre Poutine. Les incursions de ces deux milices sur le territoire de la Russie sont pour Moscou un échec cuisant.
D’autres opposants au chef du Kremlin privilégient la voie de la légalité. Celle-ci a été ouverte par la Cour pénale internationale lorsqu’elle a lancé en mars un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crime de guerre et déportation illégale d’enfants. Ce mandat a peu de chances d’être exécuté mais il invite à combattre le président russe dans le respect du droit international, et non par le moyen d’une guerre civile. C’est aussi ce que pratique le Club démocratique russe, qui vient de se réunir à Paris pour tenter de coordonner les forces démocratiques et préparer la reconstruction de la Russie après la guerre et le départ de Vladimir Poutine. Ce départ est loin d’être acquis. Les opposants ne croient guère à la possibilité de vaincre le président russe à l’occasion de l’élection présidentielle de mars 2024, si celle-ci a bien lieu. Mais ils pensent, comme l’écrit dans Le Monde le responsable du mouvement Paix, progrès et droits de l’homme, Lev Ponomarev, que « le soutien à la guerre diminue chaque jour parmi la population » et que « le changement de pouvoir en Russie passera par un coup d’Etat au sein de l’élite ».
L’élite russe divisée
Cette perspective est aujourd’hui d’autant plus crédible que l’élite russe semble divisée. Les échecs militaires de l’armée russe provoquent en Russie des dissensions profondes. Le meilleur exemple en est l’agitation d’Evgueni Prigojine, le patron des mercenaires de Wagner, qui s’en prend avec virulence aux chefs de l’armée russe et, indirectement, à leur supérieur, Vladimir Poutine. « Prigojine dynamiteur de l’Etat russe », titre Le Monde au lendemain d’une des philippiques du patron de Wagner qui, selon le quotidien, « n’est pas loin de commettre un crime de lèse-majesté ». Pour lui, « l’opération militaire spéciale » lancée par le président russe est un échec patent qui met en danger la Russie. L’imprécateur ne cesse de hausser le ton contre la hiérarchie militaire en mettant clairement en cause Vladimir Poutine lui-même. Il n’est pas isolé. Plusieurs personnalités proches du pouvoir font entendre, dans un langage moins violent, une voix également critique.
Quinze mois après son offensive contre l’Ukraine, le président russe n’a pas encore perdu la partie mais il est affaibli. Autour de lui, certains préparent déjà l’après-Poutine. Au-delà des ambitions des uns et des autres, beaucoup considèrent que le départ de Vladimir Poutine est le seul moyen d’aller vers une résolution du conflit en changeant les conditions d’une possible négociation. Celle-ci ne semble pas possible avec l’actuel chef du Kremlin. Il est vrai que l’opposition démocratique russe, à la recherche de son unité, ne paraît pas encore prête à prendre la relève. Mais la première étape est de mettre fin aux hostilités. « Arrêter cette guerre est l’objectif qui nous réunit tous », a souligné Mikhaïl Khodorkovski, l’une des figures de l’opposition, devant le Club démocratique russe. En attendant, la garantie de la paix, aujourd’hui et demain, passe par l’élimination de Vladimir Poutine.
Thomas Ferenczi