En annonçant le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, connu dans les milieux diplomatiques sous le signe JCPOA pour Joint Comprehensive Plan of Action, Donald Trump a atteint plusieurs cibles ou, si l’on préfère, fait plusieurs victimes. La première est l’Iran. L’objectif des signataires de l’accord était d’encourager le retour de la République islamique dans la communauté internationale, au prix de son renoncement à l’arme nucléaire, et de favoriser par la levée des sanctions son développement économique. Une manière de renforcer l’assise des « modérés » du régime, à commencer par celle du président Rohani, et de permettre une désescalade des conflits régionaux.
On pouvait se demander, à juste titre, si les Iraniens étaient vraiment prêts à répondre à cette attente et si l’accord suffirait à freiner leur expansion au Moyen-Orient, on pouvait aussi s’inquiéter des insuffisances du JCPOA et même s’interroger sur la volonté de Téhéran d’en respecter les clauses. Au moins un pari raisonnable était-il tenté pour calmer les tensions et pour imposer à la République islamique des contraintes auxquelles celle-ci, soumise à une stricte surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique, semblait se plier. C’est cet effort que balaye le président américain au profit d’une logique de guerre qui ne peut qu’accroître l’instabilité de la région.
La deuxième victime du geste de Donald Trump est, à l’évidence, la relation transatlantique. Les dirigeants des trois pays européens signataires de l’accord se sont succédé à Washington avant que le président américain n’annonce sa décision. Emmanuel Macron a été reçu avec les honneurs, Angela Merkel l’a été avec moins de faste, Boris Johnson, le ministre britannique des affaires étrangères, est venu plus discrètement : tous trois ont plaidé pour le respect du JCPOA, tous trois ont été éconduits. Sans doute ne se faisaient-ils pas beaucoup d’illusions sur leur capacité à peser sur les choix de Donald Trump. Il n’empêche que le refus du président américain a confirmé et même aggravé la crise qui oppose les Etats-Unis à leurs principaux alliés européens.
L’Europe a démontré, une fois de plus, les limites de son influence. Paris, Londres et Berlin, qui avaient joué un rôle-clé dans la négociation de l’accord sur le nucléaire iranien, donnant ainsi l’espoir qu’une diplomatie européenne pouvait se mettre en place avec succès, constatent aujourd’hui leur impuissance face à une administration américaine qui a confié ses leviers de commande à d’imprudents va-t-en guerre. Ce n’est pas une révélation, mais la triste constatation que, sur la scène mondiale, les trois grands Etats européens ne sont que des puissances moyennes et l’Union européenne un acteur secondaire. La gifle de Donald Trump ne fait que ratifier cette prise de conscience.
Enfin, la troisième victime du président américain est le « multilatéralisme », c’est-à-dire l’organisation collective de la coopération internationale, qu’Emmanuel Macron a défendue avec ardeur dans son discours devant le Congrès américain. Au lieu de choisir « l’isolationnisme, le retrait et le nationalisme », a dit le président français, « nous pouvons bâtir l’ordre mondial du XXIème siècle sur un nouveau multilatéralisme ». Ce « multilatéralisme fort », que les Etats-Unis ont inventé selon Emmanuel Macron, ce sont eux qui lui portent des coups sévères depuis que Donald Trump est arrivé à la Maison- Blanche.
Le rejet de l’accord sur le nucléaire iranien n’était pas son coup d’essai. Les Etats-Unis se sont retirés de l’accord de Paris sur le climat puis du traité de libre-échange trans-pacifique avant que Washington n’annonce des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium. Dans tous ces cas, c’est la régulation des relations entre les Etats, instituée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, que le successeur de Barack Obama remet en cause. Ces mécanismes imparfaits ont pour fonction de permettre le règlement pacifique des différends dans tous les domaines possibles. L’idée est ancienne. Jean-Jacques Rousseau annonçait, à la fin du Contrat social, en 1762, un deuxième ouvrage consacré non pas au droit interne, mais aux « relations externes », c’est-à-dire, entre autres, « le commerce, le droit de la guerre et les conquêtes », « les ligues, les négociations, les traités, etc. ». L’ouvrage n’a jamais vu le jour, mais des institutions internationales se sont peu à peu mises en place. Elles assurent l’esquisse d’un pacte social entre les Etats.