Embellie européenne

Au terme d’une longue et difficile négociation, Londres et Bruxelles ont conclu in extremis un accord sur la future relation commerciale entre le Royaume-Uni et ses partenaires européens, une semaine avant que les Britanniques ne quittent officiellement l’Union. Chacune des deux parties a accepté, dans l’ultime ligne droite, des compromis qu’elles avaient refusés jusqu’au dernier moment. Le résultat – l’échange de l’accès des Britanniques au marché unique européen contre l’accès des pêcheurs européens aux eaux territoriales du Royaume-Uni dans des conditions durement négociées – ménage les intérêts des uns et des autres dans un esprit, longtemps oublié et tardivement retrouvé, de compréhension mutuelle.

Cet accord ne saurait masquer, comme nous l’avons souligné dans un récent éditorial (Boulevard Extérieur, L’Europe en échec, 1er décembre 2020), l’échec que représente pour l’Europe le départ du Royaume-Uni, qui prive celle-ci d’un partenaire certes incommode et souvent récalcitrant, mais particulièrement précieux pour la force de son économie et le savoir-faire de sa diplomatie. « Quel gâchis ! », confirme dans Ouest-France Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman. Toutefois l’heureuse conclusion de ce dernier bras de fer avant la séparation officielle, même si elle ne répare pas la blessure du Brexit, est nettement préférable au « no deal » redouté.

Elle laisse espérer en effet que tous les ponts ne sont pas coupés entre Londres et le continent, que le dialogue reste ouvert et qu’à l’avenir plusieurs formes de coopération pourront se maintenir ou développer - de part et d’autre du Channel – une coopération à diverses facettes, politique, économique, climatique, militaire, qui devrait être aussi profitable, dans le meilleur des cas, au Royaume-Uni qu’à l’Union européenne. On a assez dénoncé sur ce site les faiblesses de l’Union européenne, ses erreurs, ses divisions, pour ne pas se réjouir de ses succès, même lorsqu’ils sont modestes.

L’accord sur la future relation commerciale est, de ce point de vue, une bonne nouvelle à la fois parce qu’il clôt le douloureux chapitre du Brexit sur une note positive et parce que la négociation qui l’a précédé a permis d’affirmer la cohésion du bloc des Vingt-Sept, plus unis que jamais face aux demandes britanniques. C’est de bon augure pour le futur de l’Europe au lendemain de la rupture avec le Royaume-Uni.

La recherche du consensus

Autre motif de satisfaction, la fin de la querelle avec la Hongrie et la Pologne, qui menaçaient de bloquer le plan européen de relance économique si le versement des fonds devait dépendre du respect de l’Etat de droit dans les pays bénéficiaires, comme l’exigeaient la Commission européenne et la plupart des gouvernements. Un compromis a été heureusement trouvé dans la meilleure tradition des négociations communautaires, qui demandent du temps mais permettent d’établir des consensus, au moins provisoires.

La mésentente demeure sur la question de l’Etat de droit et des valeurs démocratiques mais ce différend, aussi grave soit-il, n’empêche pas d’avancer dans l’intérêt mutuel. L’intérêt de l’Europe est bien de mettre en œuvre l’ambitieux plan de relance adopté il y a quelques mois qui prévoit, pour la première fois, une mutualisation de la dette, franchissant un pas décisif dans l’approfondissement de la solidarité européenne. C’est une date historique pour l’unité de l’Europe ou, au moins, le signe d’une embellie dans le ciel nuageux de l’idéal européen.

Mais la principale embellie vient sans doute de la façon dont l’Union européenne a affronté la crise du coronavirus dans un souci de concertation et de coordination entre les Etats membres. Cela n’avait pas bien commencé, les gouvernements européens réagissant d’abord en ordre dispersé. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, appuyée par la plupart des dirigeants européens, a compris le danger. Elle a su prendre la main pour organiser une riposte commune, en particulier pour approvisionner l’ensemble de l’Europe en vaccins, après que l’Agence européenne du médicament a donné son aval. Symbolique a été le choix d’une date commune pour le lancement des campagnes de vaccination dans les vingt-sept pays, le Royaume-Uni ayant, comme d’habitude, fait bande à part pour être le premier dans la course à la vaccination.

Dans le domaine sanitaire, qui relève pourtant principalement de la compétence des Etats membres, « l’Europe, comme l’a dit le commissaire européen Thierry Breton dans un entretien au Journal du Dimanche, a pris son destin en main » pour faire face aux besoins, en masques, en respirateurs et enfin en vaccins. « Face à l’ampleur de la pandémie, les pays ont souhaité plus de coordination sous l’égide de la Commission Von der Leyen », ajoute-t-il. Sollicitée, l’Union européenne a répondu présente. Là aussi, comme sur le plan de relance, « la solidarité a primé », constate le commissaire européen.

Thomas Ferenczi